Mois : février 2025

  • HAYKAR OU HATSAR : « LE PIERRE DU PEUPLE ARMÉNIEN DANS LE MONDE ÉTERNEL »

    HAYKAR OU HATSAR : « LE PIERRE DU PEUPLE ARMÉNIEN DANS LE MONDE ÉTERNEL »

    HAYKAR
    OU
    HATSAR : « LE PIERRE DU PEUPLE ARMÉNIEN DANS LE MONDE ÉTERNEL »

    Le Haut-Plateau arménien, célèbre pour ses eaux minérales aux vertus curatives, est également à l’origine de l’histoire de l’extraction et du travail des métaux grâce à ses riches ressources minières.

    Grâce à ses gisements abondants en pierres et en métaux, l’usage d’outils métalliques était déjà répandu dès les Ve et IVe millénaires av. J.-C. Les plus anciens spécimens ont été découverts sur les rives du lac de Van, dans la région d’Angeghtoun, dans la plaine de l’Ararat, ainsi que sur les rives du lac d’Ourmia…

    Au IIIe millénaire av. J.-C., la Mésopotamie arménienne, le Rchtounik, Djoulamerk et Sassoun constituaient des « réserves de métaux » pour les pays de l’Ancien Orient. Plus tard, au IIe millénaire av. J.-C., ces régions occupaient une place de premier plan dans l’extraction et l’échange des métaux.

    Les découvertes archéologiques de Litchachen, Metsamor et Karmir Blur, ainsi que dans les environs du lac de Van, la plaine d’Erzinga et d’autres sites du Haut-Plateau arménien, témoignent d’un haut niveau de développement dans l’artisanat métallurgique.

    De nombreux témoignages à travers les siècles, dans les écrits d’historiens arméniens et étrangers, confirment l’abondance et la qualité des ressources minières d’Arménie. Moïse de Khorène (dans Histoire des Arméniens, I, 23), en louant les Ancêtres et en exaltant le grand Tigrane, mentionne qu’il a accru les « réserves d’or et d’argent » (« Մթերս ոսկւոյ եւ արծաթոյ բազմացոյց »).

    L’écrivain, naturaliste, philosophe et général romain Pline l’Ancien, qui vécut au Ier siècle, mentionne dans son ouvrage Histoire naturelle les pigments et les minéraux utilisés pour leur fabrication, citant notamment les mines d’Arménie (« Hanc Armenia ») et les matériaux de haute qualité qui en étaient extraits.

    Lapis-lazuli, dont l’éclat bleu intense ne s’est jamais terni à travers les millénaires, est mentionné dans les premières sources écrites, y compris l’Épopée de Gilgamesh. Il a traversé l’histoire depuis l’Égypte et la Mésopotamie jusqu’à nous, souvent associé à des propriétés magiques dans les récits qui l’entourent. Rien qu’à Ebla, l’un des grands centres de la culture hourrite, situé à environ 60 kilomètres au sud d’Alep, on a retrouvé 25 kilogrammes de lapis-lazuli. Ce précieux minerai provenait des matières premières acheminées depuis l’Arménie.

    Le lapis-lazuli, cette pierre bleue « légendaire » utilisée depuis 6 000 ans, était considéré comme un gage de santé, de courage, de réussite et de victoire. Il servait également de talisman protecteur contre le mal et était perçu comme un moyen de connexion à la « sagesse céleste », favorisant l’éveil spirituel et le stimulant.

    L’un des plus éminents philosophes de la Grèce antique, Théophraste (371 av. J.-C. – 288 av. J.-C.), disciple talentueux d’Aristote, naturaliste, botaniste et alchimiste, mentionne dans son étude sur les pierres l’existence de minéraux importés d’Arménie, notamment ceux utilisés pour la fabrication de sceaux et d’autres usages. Il évoque également une certaine « terre » transportée depuis la Cilicie qui, une fois bouillie, devient adhésive et, appliquée sur les vignes, les protège des parasites.

    Le célèbre lapis-lazuli était appelé par Théophraste « pierre d’Arménie », « Lapis Armenis », également connu sous le nom d’« Arménium », soit « pierre haïkienne ».

    Au Moyen Âge et à la Renaissance, cette pierre était toujours désignée sous le nom de « pierre d’Arménie » ou encore « bleu des montagnes ».

    En 1824, le géologue et minéralogiste François Sulpice Beudant, s’appuyant sur sa couleur, le nomme « azurite ».

    Dans les études médicales, une autre substance réputée était le Haïkav ou « Kaolin arménien », appelé « terre haïkienne » par Galien.

    Différents auteurs ont parfois confondu les diverses « terres arméniennes », qualifiées tour à tour de bleutées, dorées ou rouge-jaune, qui jouissaient d’une grande renommée depuis l’Antiquité.

    Pline l’Ancien mentionne les gisements d’eau minérale d’Arménie (Livre 33, 15) et souligne que la meilleure « Chrysocolle » – un minerai traversé de veines aurifères – provenait d’Arménie (Livre 34, 5), ce que confirme Ghévond Alishan.

    Dans le Livre 35 de son volumineux traité, Pline évoque l’Arménium (l’azurite). Il écrit (d’après ma traduction) :

    « L’Arménie exporte une substance qui porte son nom. C’est une pierre proche de la chrysocolle, tendant davantage vers le bleu.
    … En médecine, elle est exclusivement utilisée pour le soin du cuir chevelu et, en particulier, des cils (bol d’Arménie). »

    Depuis l’Antiquité, les structures cristallines, formées par diverses combinaisons chimiques et des proportions variées de cuivre, d’oxygène et d’autres éléments, accompagnent l’humanité, fusionnant et donnant naissance à de nouvelles propriétés.

    Le cuivre arsénicé (pouvant être identifié comme la** cuprite arsénicale**), dont la structure cristalline arbore une teinte proche du lapis-lazuli, est une substance aux multiples usages. Bien que hautement toxique, il a été largement utilisé dans divers domaines.

    Outre les amulettes et les bijoux, la pierre arménienne (Haïkar) servait aussi de pigment.
    Parmi les nombreuses poudres et pierres, incolores ou colorées, employées en médecine, pour la fabrication de miroirs et d’autres usages, citons quelques-unes d’après les dictionnaires arméniens anciens…

    Les traités médicaux médiévaux rappellent :

    « Lapis-lazuli : pierre précieuse d’un bleu profond, appartenant à la famille des silicates, dont on extrayait autrefois le pigment azur (Lapis lazulite) » (S. Malkhassian, Dictionnaire explicatif arménien).

    « Hachar : une pierre originaire du pays d’Arménie » (Nouveau dictionnaire de la langue arménienne).

    « Haïkar : une variété de pierre précieuse, d’un bleu profond et tendre, semblable au lapis-lazuli » (Arménite, Pierre d’Arménie).

    « Gojazm : pierre précieuse opaque d’un bleu intense, parcourue de veines dorées. Il en existe aussi une variété jaune » (Ligourion).

    « Lapis-lazuli : pigment bleu de grande qualité extrait du Gojazm ».

  • « Le récit de la fleur Hamaspyur » ou « Le mystère de la fleur »

    « Le récit de la fleur Hamaspyur » ou « Le mystère de la fleur »

    « Le récit de la fleur Hamaspyur » ou « Le mystère de la fleur »

    Ուպան (Laserpitium)

    Les contes sont le reflet fascinant de la pensée nationale. Souvent inspirés d’anciens mythes, ils ont traversé les générations sous forme de récits merveilleux ou réalistes, transmis oralement.

    Remplis de symboles et d’allégories, ces récits sont une véritable source de sagesse accumulée au fil des millénaires, où subsistent également les traces de nombreux rites et traditions.

    Depuis des temps immémoriaux, ces contes reflètent de manière imagée l’évolution de la pensée humaine.

    On y retrouve également des scènes rituelles marquées par l’importance magique accordée aux perles et aux coraux, ainsi qu’aux propriétés mystiques de certaines pierres et fleurs, dont les descriptions sont soigneusement consignées (comme nous l’avions mentionné dans « Les perles de Shamir dans la mer »).

    Par ailleurs, les recherches scientifiques actuelles confirment que certaines pierres naturelles ont un impact positif ou négatif sur le corps humain.

    Nos ancêtres percevaient le feu issu de la magie solaire – qu’il soit produit par le frottement du silex ou par la concentration des rayons du soleil à l’aide d’un miroir – comme un puissant symbole du lien entre le Feu céleste et le Feu terrestre.

    Ces croyances ont laissé leur empreinte dans de nombreux contes.

    Parmi les récits merveilleux transmis par nos ancêtres, l’histoire d’une fleur extraordinaire nommée « Hamaspyur » occupe une place particulière.

    Dans le Dictionnaire explicatif de l’arménien de S. Malkhassian, elle est décrite comme suit :
    « Elle produit douze branches, chacune portant une fleur d’une couleur différente. Elle redonne la vue aux aveugles, et son parfum confère force et énergie. »

    Dans le Dictionnaire des dialectes arméniens (Érévan, 2001), son équivalent dans le dialecte de Van est appelé « Khambek ».

    À Erevan, au Matenadaran de Mésrop Machtots, neuf manuscrits anciens se distinguent parmi des milliers d’autres, car ils conservent une légende fascinante sur la fleur magique Hamaspyur, intitulée « Histoire de la fleur Hamaspyur » ou « À propos de la fleur » (également connue sous le nom de Hamaspran).

    Il y a plusieurs décennies, en examinant ces manuscrits, S. Avdalbegyan écrivait :
    « Ce récit décrit en détail les pouvoirs miraculeux attribués à cette fleur. »

    Le récit évoque une fleur aux propriétés extraordinaires :

    « Si tu la portes à ton oreille, tu comprendras toutes les langues humaines et celles des animaux. Si tu la portes à ton nez, tu sentiras un parfum céleste. Si tu la poses sur ta langue, tu pourras parler toutes les langues et enseigner la sagesse. Si tu la touches du bout des doigts, tu maîtriseras tous les arts et métiers. Et bien d’autres prodiges lui sont attribués… »

    Dans la 26ᵉ parabole de Mkhitar Gosh, une autre version du mythe décrit la fleur Hamaspran comme étant choisie parmi toutes pour ses propriétés uniques :

    « Elle guérit les malades, donne une vision perçante, permet de marcher sur l’eau et confère la sagesse aux ignorants. »

    Dans son poème « Éloge des fleurs », le poète David Saladzortsi (XVIIᵉ siècle) décrit une créature fascinante :

    « Le roi des serpents, blanc comme neige,
    Suit la trace de la Hamaspyur et puise sa force dans son parfum. »

    La légende raconte que le roi-serpent, dont le regard brûle et anéantit ses ennemis, obtient sa puissance de cette fleur sacrée.

    Dans son ouvrage « Ancienne foi ou religion païenne des Arméniens », Ghevond Alishan fait également référence à la Hamaspyur et la compare aux plantes sacrées mentionnées dans les manuscrits médiévaux.

    Selon Mkhitar Heratsi, médecin du Moyen Âge :

    « Elle possède une racine unique, douze branches, et chaque branche porte une fleur d’une couleur différente. »

    Sa cueillette devait se faire de nuit, car elle brille davantage dans l’obscurité.

    D’un point de vue botanique, cette description semble correspondre aux Lychnis orientalis, observés et décrits par Tournefort.

    Enfin, Pline l’Ancien rapporte que l’Arménie était autrefois réputée pour ses plantes médicinales, dont certaines étaient très prisées à Rome.

    L’upane et la hamaspyur, autrefois considérées comme des plantes de vie, furent exportées en masse d’Arménie avant de disparaître complètement du paysage botanique arménien.

    La hamaspyur, selon Mkhitar Gosh, est une fleur du monde, qui libère de la mort, confère sagesse et force, et accorde même la capacité de marcher sur l’eau.

    Les poètes arméniens, tels que David Saladzoretsi et Minas Tokhattsi, l’ont célébrée en ces termes :

    « Elle est la fleur des fleurs, aux mille couleurs,
    Qui rend la vue aux aveugles,
    Possède douze racines et ne fleurit qu’une fois tous les douze ans…
    Son parfum enivre même les anges. »

    Cette fleur sacrée pousse sur des hauteurs inaccessibles : le Mont de l’Amour, le sommet de Makhput, les montagnes de Darounik, Bard, Massis, et d’autres lieux mythiques.

    On raconte que la hamaspyur et le balsam Navrouz sont protégés par Shahmar, le serpent-roi, dont la puissance provient du parfum envoûtant de la fleur.

    Dans la symbolique arménienne, la hamaspyur est assimilée à l’arbre cosmique, qui relie la terre et le ciel. Son apparition rare, son éclat et ses pouvoirs font écho à des mythes universels où l’ordre cosmique est perpétuellement menacé par le chaos.

    Selon Tamar Hayrapetyan, les plantes médicinales comme la hamaspyur, le loshtak et le fenna étaient vénérées en raison de leurs vertus curatives, laissant une profonde empreinte dans la culture populaire arménienne.

    L’écrivain Hovhannes Toumanian percevait ces récits comme des gouffres profonds, mystérieux et infinis… pour d’autres, ils sont comparables à un « jardin enivrant de parfums ».

    Aujourd’hui, une seule plante survit encore dans la tradition des initiés comme fleur de jouvence : l’Astragale, dont les variétés jaunes et violettes sont encore utilisées en phytothérapie.

    🌿 Que vos jours soient emplis de senteurs florales… 🌸

  • HAZARASHEN ou « Là où la lumière traverse le toit… »

    HAZARASHEN ou « Là où la lumière traverse le toit… »

    HAZARASHEN
    ou
    « Lorsque la lumière descend par l’ouverture du toit… »

    Dans les récits antiques de la création, la victoire de la Lumière sur les Ténèbres occupe une place centrale.

    À l’occasion des discussions sur les théories de la formation de l’Univers et de la Vie, Yeznik Koghbatsi (Ve siècle), dans son ouvrage « Réfutation des sectes », évoque la doctrine épicurienne de l’« Univers Éternel et Autogène », et décrit comment la lumière d’un rayon, entrant par une ouverture, éclaire la fine poussière en suspension, illustrant ainsi le commencement de la Création.

    (338) Quant aux épicuriens, ils considèrent le monde comme entièrement autogène, expliquant que, primitivement, des particules de poussière flottaient, à l’image de celles qui apparaissent dans un rayon de lumière pénétrant par une lucarne. Ils affirmaient ainsi que les premiers éléments étaient des corps indivisibles et insécables, et que c’est par leur agglomération progressive que le monde s’était formé de lui-même, sans l’intervention d’un Dieu ni d’aucune Providence gouvernant le monde.

    Hazarashen (Photographie de Samvel Karapetyan)

    Dans les différentes régions du Haut-Plateau arménien, depuis l’Antiquité, les habitations et les édifices cultuels possédaient leurs propres sources d’éclairage naturel : les « Loysijots », ou « Lusantsuyts », autrement dit les ouvertures zénithales (yerdik). Selon les circonstances, ces ouvertures étaient recouvertes à l’extérieur d’une couche imperméable de végétation et de terre, tandis que dans les temples païens, elles étaient dotées d’un obturateur spécial, manœuvré de l’intérieur à l’aide d’une longue perche.

    L’un des exemples les plus remarquables est le Hazarashen, une structure impressionnante composée de milliers de pièces de bois, formant une superposition de poutres courtes ou de rondins disposés en cadres polygonaux et rétrécissant progressivement vers l’ouverture centrale.

    Outre son rôle dans l’éclairage et la ventilation, le yerdik symbolisait également la maison, ses habitants, la famille, le foyer et la fumée du foyer.

    Les chroniqueurs arméniens (Yeznik, Agathange, Buzand…) et plus tard d’autres historiens ont utilisé le comptage des yerdik—ou recensement des fumées—comme méthode pour estimer la population. Ainsi, Buzand écrivait : « Vingt mille foyers arméniens ».

    Les habitations traditionnelles arméniennes possèdent des toits en dôme dont l’origine remonte à l’Antiquité. Ces toits étaient construits selon deux techniques principales reposant sur une structure en bois.

    La première, plus simple et rudimentaire, consistait en un assemblage de poutres posées parallèlement aux murs de la maison et se rétrécissant progressivement vers l’ouverture centrale du toit (yerdik). L’espace entre ces poutres était comblé par des planches de bois brut fendues.
    Ce type de toiture était particulièrement répandu dans les régions du nord-est et dans les villages de la vallée du Çoruh et du Karabagh, où le bois de construction était relativement abondant.
    On le retrouve sous plusieurs appellations : kondatsatsk, soghomatsatsk, soghomashen, mais le plus souvent sous les noms de gharnavouch et gharnaghouch.

    La seconde technique, plus élaborée, reposait sur une structure en bois composée de poutres courtes ou de chevrons formant un polygone qui se resserrait progressivement vers l’ouverture centrale.
    Ce type de toiture était privilégié dans les régions où le bois était rare et les précipitations abondantes, notamment en Haute-Arménie. Il est connu sous le nom de Hazarashen ou Hazarashenk.
    Ce terme était couramment utilisé par les habitants de Kars, Bayazet, Bulanikh, Basen, Mush, Alashkert, Sébaste, Bayburt, Derjan, Sassoun, Leninakan, Akhalkalak, Akhaltsikh et dans d’autres localités proches de ces régions.

    En fonction des régions, le hazarashen est aussi appelé dastatsatsk (notamment à Ghukasyan et dans certains villages de Leninakan), soghomakash (à Yeghegnadzor, Lori et Shabin-Karahisar), Soghomakagh (à Alaverdi) ou encore syurmakash et shushatsatsk ailleurs.

    Ces différentes appellations sont souvent employées de manière interchangeable, ce qui peut prêter à confusion. Cette diversité de noms s’explique par les migrations et réinstallations successives des populations arméniennes au fil des siècles.


    Parmi toutes ces appellations, c’est Hazarashen qui est resté le plus répandu et le plus fidèle à son origine. Son nom vient du fait que cette toiture était construite avec « des milliers » de morceaux de bois.
    (Citation extraite de l’étude de S. V. Vardanyan, Hazarashen et son rôle dans l’architecture arménienne).

    Depuis les anciens temples arméniens, où la lumière du Soleil illuminait la statue de la divinité, jusqu’aux premières habitations dotées d’une ouverture centrale (yerdik) et d’un foyer, en passant par les palais du Moyen Âge et les bâtiments modernes, Hazarashen a traversé les siècles en incarnant une quête d’élévation, orientant toujours notre regard vers le haut, vers la Lumière immaculée…

    Le plafond de la salle d’exposition du Musée ethnographique, conçu dans le style Hazarashen.
    Photo de N. Chilingaryan.

    Au Musée ethnographique de Sardarapat.

  • « Trndez, vois la puissance de la braise,Sème une seule graine, récolte-en mille. »

    « Trndez, vois la puissance de la braise,Sème une seule graine, récolte-en mille. »

    « Trndez, vois la puissance de la braise,
    Sème une seule graine, récolte-en mille. »

    La fête de Trndez, qui symbolise le Feu Créateur réchauffant la Terre et les Hommes, est une célébration du feu. Comme l’explique le prêtre Harout Arakelyan, selon le calendrier sacré haykien, elle est observée le jour de Hrant du mois de Hrotits (le 15 février) à travers des rites uniques visant à accompagner le passage de l’hiver au printemps.

    Tout comme la fête de Barekendan, célébrée à la même période et suivant une logique similaire, Trndez a une signification rituelle liée à l’éveil prochain de la nature. Elle célèbre l’arrivée d’une nouvelle année agricole prospère et abondante, accompagnée de rites destinés à assurer la fertilité et la fécondité.

    L’homme étant une partie inséparable de l’Univers et de la Nature, l’épanouissement de la nature annonçait et encourageait également de nouvelles unions et la croissance des familles.

    « Le feu de la fête est apporté par les prêtres depuis la flamme inextinguible de l’Atarshan brûlant dans les temples, où ils lui confèrent une puissance magique à travers des rites.
    À la fin de la célébration, les participants ramènent cette même flamme chez eux pour allumer leur foyer, leur four (aujourd’hui sous forme de bougies) », explique le prêtre Harout Arakelyan.

    Une description de la fête de Trndez telle qu’elle était célébrée par les Arméniens de Kharberd et de ses environs, d’après Youshamatean :
    « Elle a lieu en février. Le soir, à Kharberd, Hiuséinik et Mezireh, les Arméniens allument des feux sur les toits des maisons. De grands tas de branches brûlent pendant deux ou trois heures, tandis que les jeunes filles et garçons dansent en cercle autour du feu et chantent, certains sautant même par-dessus les flammes.
    Dans les villages alentour, Melèt (Trndez) est célébré avec faste.
    D’abord, une messe est célébrée en soirée, puis les villageois, bougies allumées, se dirigent vers leurs quartiers respectifs pour allumer le bûcher.
    Dans certains villages, un seul feu est allumé dans la cour de l’église. À Barchandj (Berdjentch/Akchakiraz), c’est la personne ayant fait la plus grande donation à l’église ce jour-là qui a l’honneur d’allumer le brasier. Après cette flambée solennelle, la population regagne ses foyers, bougies à la main, et la fête se poursuit sur les toits.
    Chaque famille allume alors un petit feu et continue à chanter et danser. Comme combustible, on utilise souvent du tsrdeni (une variété d’arbuste).

    Le jour de Melèt (Trndez), les jeunes participent avec enthousiasme à la collecte de bois.
    Les cendres du bûcher sont également considérées comme ayant un pouvoir protecteur : les villageois les dispersent sur leurs toits pour éloigner les scorpions et serpents en été, ainsi que dans les étables, poulaillers, granges, champs et vignobles, croyant que Melèt (Trndez) apportera fertilité et abondance.

    Dans le village de Datem, Garib Shahbazian rapporte que la tradition de Melèt (Trndez) impose une exigence stricte aux hommes nouvellement mariés :
    Ils doivent apporter une grande quantité de bois à l’église et le déposer à son seuil.
    S’ils manquent à ce devoir, Shvot (l’esprit malveillant) risque de s’abattre sur eux et de leur enlever leur jeune épouse.

    Réchauffés par le feu sacré du bûcher, qui accorde fertilité aux champs et bénédiction aux jeunes mariés, les villageois expriment encore aujourd’hui leurs souhaits et prières :
    « Que nos poules pondent, que nos vaches donnent du lait, que nos jeunes mariées enfantent »…

    Les chants arméniens dédiés aux jeunes époux et aux amoureux résonnent encore et résonneront toujours lors de Trndez :

    Jeune fille, ton nom est Vardanouch,
    Tu es belle, ton baiser est doux,
    Donne-moi un baiser, que pourrait-il arriver ?
    Ni il ne s’use, ni il ne vieillit.

    Ô Gourgen, Gourgen, tu as trop parlé,
    Mais tu n’as pas dit l’essentiel.
    Aimer un jour, c’est une folie,
    Soupirer d’amour, c’est un tourment.

    Ô jeune fille, Vardanouch,
    Je porte ton fardeau,
    Je taille pierre et roc,
    Et je te rends heureuse.

    L’amour sied à celui qui aime,
    Ce vin, à celui qui sait le savourer.

    Nous remercions Kourm Harout Arakelyan pour cette photo
  • Le pillage du siècle : La spoliation des Arméniens dans l’Empire ottoman

    Le pillage du siècle : La spoliation des Arméniens dans l’Empire ottoman

    Le pillage du siècle : La spoliation des Arméniens dans l’Empire ottoman

    « Le pillage du siècle » – Auteur : Anahit Astoyan

    Depuis des siècles, les Arméniens ont combattu pour leur indépendance et la restauration de leur État, luttant pour libérer leur patrie de la domination des empires ottoman et russe. Leur objectif était de reconstruire une Arménie forte en unifiant la nation arménienne dans son berceau historique, le Haut-Plateau arménien.

    Après la guerre russo-turque de 1877-1878, la « Question arménienne » est devenue une partie intégrante de la « Question d’Orient ». Pour y répondre, l’Empire ottoman a mis en place diverses stratégies visant à affaiblir et à détruire progressivement les Arméniens, tant économiquement que matériellement, en recourant à des persécutions, des massacres et des expropriations répétées.
    Malgré ces violences constantes, les Arméniens occupaient une place prépondérante dans l’économie ottomane, jouant un rôle clé dans le commerce et l’industrie.

    Au début du XXe siècle, de nombreuses sources arméniennes et étrangères témoignaient encore de la puissance économique des Arméniens.

    Dans un mémorandum adressé au ministère français des Affaires étrangères le 12 juin 1917, Boghos Nubar Pacha, président de la Délégation nationale arménienne, indiquait que les Arméniens contrôlaient 60 % du commerce des importations, 40 % des exportations et plus de 80 % du commerce intérieur.
    Dans les six provinces arméniennes (Erzurum, Van, Bitlis, Diyarbakır, Kharpert, Sivas), ils détenaient entre 69 et 86 % des secteurs du commerce, de l’industrie et de l’artisanat.
    De plus, les écoles arméniennes, entièrement financées et gérées par leurs communautés, représentaient plus de 80 % de l’ensemble des établissements scolaires du pays.

    Le 16 octobre 1920, le journal new-yorkais « Kotchunak Hayastani », dans un article intitulé « La situation à Bursa », rapportait qu’avant 1915, 40 des 50 manufactures de soie de Bursa et de ses environs appartenaient aux Arméniens.
    D’autres sources, arméniennes et étrangères, attestent également qu’à Erzurum (Karin), les Arméniens possédaient plus des deux tiers des 3 000 magasins de la ville. Par ailleurs, M. Vrotenko écrivait déjà en 1835 : « Les marchands les plus fortunés des villes de l’intérieur de l’Asie Mineure sont des Arméniens. »

    L’une des rares études consacrées aux pertes matérielles subies par les Arméniens à la suite du génocide de 1915 est celle d’Anahit Astoyan : « Le pillage du siècle : la spoliation des Arméniens dans l’Empire ottoman, 1914-1923 », publiée à Erevan en 2013.
    Cet ouvrage exceptionnel, basé sur des archives officielles, des témoignages arméniens, turcs et étrangers ainsi que sur des articles de presse, met en lumière le pillage méthodique et la confiscation des biens arméniens orchestrés par les autorités ottomanes et leurs alliés.
    Voici quelques extraits marquants :

    « Parmi les populations chrétiennes de l’Empire ottoman, les Arméniens se distinguaient par leur dynamisme, leur persévérance et leur savoir-faire. Ils occupaient une place centrale dans l’artisanat, le commerce et l’industrie, et constituaient les principaux contribuables de l’Empire.
    Malgré cela, ils devinrent les victimes du pouvoir ottoman et de la population musulmane.
    Par les persécutions et les massacres, les autorités ottomanes réussirent à briser la vitalité du peuple arménien, tandis que la population musulmane, profitant du chaos, les exterminait et pillait leurs biens. »

    (Extrait de « Militarisme » de Guglielmo Ferrero)

    « Le diplomate britannique Pears estimait que l’une des causes majeures des massacres hamidiens était que les Arméniens avaient pris le contrôle des secteurs économiques stratégiques et jouaient un rôle moteur dans le développement du pays. »

    Le 31 octobre 1915, dans un télégramme envoyé de Constantinople au ministre italien des Affaires étrangères Sonnino, le commissaire Taliani, chargé de la protection des citoyens italiens en Turquie, rapportait :

    « Les biens des Arméniens déportés sont en principe transférés au trésor public, mais dans la plupart des cas, ils finissent dans les poches des fonctionnaires turcs. »

    L’historien Johannes Lepsius constatait avec amertume :

    « Un pillage d’une telle ampleur, sans précédent dans l’histoire, ne pouvait exister que sous le régime ottoman. »

    Dans un autre ouvrage, il notait également :

    « Les Arméniens déportés ont dû abandonner l’intégralité de leurs biens : maisons, terres, bétail, outils ménagers et agricoles. La déportation était en réalité une confiscation organisée des richesses arméniennes. »

    L’ambassadeur américain Henry Morgenthau dénonçait sans détour :

    « Le but réel des déportations était le pillage et la destruction. C’était une nouvelle forme d’extermination.
    Lorsque les autorités ottomanes ont donné l’ordre de ces déportations, elles ont signé l’arrêt de mort d’un peuple tout entier.
    Elles en étaient parfaitement conscientes et ne s’en cachaient même pas dans nos discussions. »

    L’explorateur norvégien Fridtjof Nansen, dans son livre « Un peuple trompé », écrivait sur les pertes matérielles des Arméniens :

    « Les autorités turques ne se sont pas contentées de déporter et massacrer des milliers d’innocents. Elles ont également pris possession de tous leurs biens, dont la valeur se compte en milliards. »

    Les pertes matérielles causées aux Arméniens par le génocide orchestré par le gouvernement ottoman entre 1915 et 1923 atteignent une somme si colossale qu’elle dépasse toute capacité de calcul humain.
    L’évaluation exacte est d’autant plus difficile que la valeur totale des biens arméniens en Anatolie reste méconnue.

    Un témoignage illustre le pillage des richesses des Arméniens d’Erzurum (Karin) :

    « Ce n’est qu’au moment des déportations que l’on prit conscience de l’ampleur des richesses des Arméniens de Karin, suscitant la stupéfaction.
    Une fortune qui, si elle avait été mobilisée pour la défense, aurait pu accomplir des miracles et changer le cours de l’histoire des Arméniens du Haut-Arménie et des provinces voisines.
    L’exil forcé mit au jour ces biens, souvent cachés ou sous-estimés.
    Des milliers de ballots furent entreposés dans l’église Sainte-Mère-de-Dieu, dans des institutions américaines et chez des Turcs considérés comme ‘amis’ et de confiance.
    Des centaines de chariots et d’animaux de trait transportèrent hors de la ville les seuls biens essentiels des Arméniens, ainsi que leurs objets les plus précieux et une partie de leur or.
    Des quantités inimaginables de pièces et de lingots d’or furent découvertes, dissimulées sur les membres des familles ou enfouies dans leurs affaires.
    Tout au long de leur chemin, ces richesses furent pillées, vendues ou échangées contre des pots-de-vin et des rançons, des montagnes d’or passant entre les mains de Turcs et de Kurdes.
    Seuls quelques centaines d’Arméniens – femmes, jeunes filles, mais aussi quelques hommes et garçons – parvinrent à s’échapper et à atteindre Urfa, Suruç, Alep et Mossoul, survivant jusqu’à l’armistice de 1918.
    Ils furent témoins des atrocités inhumaines et du génocide perpétré par le gouvernement turc avec la complicité de la police, de l’armée et des milices turques et kurdes. »

    « Les richesses des Arméniens furent saisies non seulement par l’État turc et la population turque, kurde et circassienne, mais aussi par des étrangers.
    Après l’armistice de Moudros, la presse arménienne publia de nombreux témoignages confirmant ces faits. »

    Dans le contexte des évolutions politiques actuelles, la reconnaissance du génocide arménien et la réparation des préjudices subis – par le biais de compensations aux descendants des victimes, à la nation arménienne et de la restitution d’une partie du territoire – nécessitent la préparation d’une action judiciaire contre la République de Turquie, héritière de l’Empire ottoman.

  • « Le grenadier incarne mon pays » ou « Le printemps parlera arménien, et les siècles résonneront en arménien »

    « Le grenadier incarne mon pays » ou « Le printemps parlera arménien, et les siècles résonneront en arménien »

    « Le grenadier incarne mon pays » ou « Le printemps parlera arménien, et les siècles résonneront en arménien »

    Պարույր Սևակ

    Le 14 avril 1914 naissait Hamo Sahyan, le poète arménien qui, avec ses « lèvres imprégnées de rosée », a chanté son pays natal, sa Patrie et son Chant des falaises.

    Profondément ancré dans l’héritage culturel de ses ancêtres, il nous laisse des vers qui résonnent encore aujourd’hui…

    Son amour pour la terre ancestrale, ce Pays de Nairi, transparaît dans son combat pour le « Peuplier verdoyant de Nairi », qu’il a célébré dans ces vers :

    (Poème traduit avec fluidité pour préserver le rythme)
    Tu ondules et tu danses, drapé dans ton vert d’émeraude,
    Projette ton ombre sur les chemins de mon enfance,
    Ton appel vibre, clair et intense,
    Au plus profond des gorges de mon cœur,
    Ô toi, mon lointain, mon cher peuplier de Nairi !

    (Extrait du poème « Peuplier verdoyant de Nairi »)

    Traduire la poésie, c’est révéler un pays à travers ses arbres.

    Le grenadier, c’est l’image même de mon pays.
    Il ne demande rien et, même dans la sécheresse, il donne ses fruits. Il fleurit encore et encore, tour à tour vert, blanc, jaune, rouge… Il est humble, généreux, mais aussi couvert d’épines.

    C’est à travers un buisson de grenadier enraciné dans la roche que l’étranger doit me reconnaître. Son parfum est envoûtant, sa couleur éclatante, son fruit généreux. Ses racines sont profondes et solides – essaye donc de l’arracher…

    Le grenadier ne sait pas combien il est précieux, combien il est beau, combien il est essentiel.

    Il ne sait pas qu’il est l’âme de l’Arménie, un reflet du caractère de notre peuple.

    Cela, c’est à nous de le savoir et de le faire savoir aux autres.

    Le grenadier a la force du rocher de Toumanian…

    Se comprendre soi-même, c’est aussi comprendre le grenadier.

    Hamo Sahyan, dans ses propres mots (cité de la page de Susanna Babajanian).

    « Je suis les yeux et les oreilles de la Nature,
    Sa conscience incarnée. »

    Voilà comment il se décrivait lui-même.

    Et selon Paruyr Sévak, il était l’un des « meilleurs versificateurs » de la poésie arménienne.

    Preuve en est…

    «Notre langue»

    Notre langue, c’est notre conscience,
    Le pain sacré sur notre table,
    L’écho juste de notre âme,
    Et le goût même de nos paroles.

    Notre langue, c’est la fumée du foyer,
    Notre équilibre dans le monde,
    Le sel de notre identité,
    Le secret intime de notre être.

    Notre langue, c’est notre sang,
    Plus précieux encore que le sang,
    C’est notre parfum, notre couleur,
    C’est nous, tout simplement.

    Elle doit être notre premier
    Et notre dernier amour.
    Que possédons-nous d’aussi précieux,
    D’aussi profondément nôtre ?

    « Le printemps arrive en arménien »

    Le printemps arrive en arménien,
    Les neiges pleurent en arménien,
    Les rivières grondent en arménien.

    Les oiseaux chantent en arménien,
    Les charrues creusent en arménien,
    Les lettres s’élèvent en arménien.

    Le soleil se lève en arménien,
    Les arbres fleurissent en arménien,
    Les mots explosent en arménien.

    Les graines germent en arménien,
    Les mains sculptent en arménien,
    Les pierres se taisent en arménien.

    Les vallées respirent en arménien,
    Les martyrs reposent en arménien,
    Les douleurs gémissent en arménien.

    Qu’importe ce qui a été perdu,
    Tu es resté arménien,
    Tes montagnes renaissent en arménien.

    Que Dieu garde ce qui est,
    Et quoi qu’il arrive,
    Les neiges pleureront en arménien,
    Le printemps reviendra en arménien,
    Et les siècles parleront arménien.