Le 27 octobre 1916, une réunion tenue à l’ambassade de France à Londres aboutit à un accord entre les représentants de l’Entente, à savoir Mark Sykes pour la Grande-Bretagne, Georges Picot pour la France, et Boghos Nubar, président de la délégation nationale arménienne. Cet accord entraîna la formation de la « Légion arménienne » en 1916 (1916-1920), une unité de volontaires arméniens intégrée à l’armée française.
Les soldats arméniens, au nombre de plus de 4500, devaient combattre sous commandement français contre l’Empire ottoman, d’abord sur les fronts de Syrie et de Palestine, puis en Cilicie. En contrepartie, la France promit d’accorder une autonomie aux Arméniens de Cilicie après la victoire des Alliés, sur la base des « garanties solides » offertes à Boghos Nubar.
La Légion arménienne participa pour la première fois à des opérations militaires le 19 septembre 1918, lors de la bataille des hauteurs d’Arara en Palestine, remportant une brillante victoire.
« Camarades, vous savez que demain matin est notre jour de mariage, le jour que nous attendons tous.
Chaque soldat doit être prêt à 4 heures du matin.
C’est l’heure de la vengeance et de la juste rétribution. Nous mènerons cette guerre sacrée pour la liberté de la patrie.
C’est notre seul service à notre peuple malheureux, et nous le rendrons heureux au prix de notre sang.
Je ne sais pas combien de nous tomberont demain sur le champ de bataille, mais je suis sûr que le front fier de l’Arménien ne connaîtra pas l’humiliation. Que notre passé nous pousse en avant et que notre avenir inspire la foi en chacun de nous. »
Ce discours, prononcé tard dans la nuit du 18 septembre 1918, a été adressé par le capitaine arménien John (Hakob) Shishmanyan, membre de l’armée française, aux volontaires arméniens de la « Légion d’Orient », campés sur les pentes du mont Arara en Palestine, en annonçant l’attaque contre les positions turques et allemandes.
Le 24 avril 1927, lors de l’inauguration d’un monument dédié aux volontaires arméniens à Jérusalem, Hakob Arevian, ancien légionnaire et représentant de la « Légion américaine et cairote », a évoqué cet événement dans son discours, dont un extrait a été publié dans le livre « Le Volontaire : À l’occasion du 10e anniversaire de la victoire d’Arara », publié en 1928 par l’Union des légionnaires arméniens.
Monument en hommage aux soldats arméniens tombés lors de la bataille d’Arara à Jérusalem (photo issue des Archives nationales d’Arménie)
Le soir du 18 septembre 1918, la nouvelle se propagea parmi les légionnaires qu’ils allaient attaquer l’armée ennemie le lendemain matin.
Tous se préparaient avec enthousiasme, comme s’ils se rendaient à un mariage. Leur joie était immense. Après deux longues années d’entraînement continu, ils allaient enfin prouver leur valeur militaire à l’ennemi.
Le matin du 19 septembre, l’ordre d’attaque fut donné avec la rapidité de l’éclair.
Ignorant tous les dangers et même la mort, ils se ruèrent sur les positions ennemies, et en moins d’une heure, ils avaient déjà capturé les positions assignées, ne laissant derrière eux que des cadavres ennemis.
Malheureusement, tous n’ont pas eu la chance de survivre. Environ une centaine de compagnons sont tombés en héros, et malgré leurs graves blessures, ils ne se laissaient pas abattre. Ils criaient à ceux qui continuaient à avancer, avec une voix chargée de vengeance : « Hakob, ne m’oublie pas ! » ou « Galoust, venge-moi ! »
Ici, vous voyez le monument dédié aux restes de 23 d’entre eux, qui, dans la joie mais avec la vengeance dans le cœur, ont fermé les yeux pour l’éternité.
« Respect à leur souvenir impérissable : La bataille a duré près de vingt heures, durant lesquelles l’ennemi a violemment bombardé les positions perdues et tenté de les reprendre par une contre-attaque. Mais le soldat arménien était bien ancré dans ses positions et, avec ses fusils et mitrailleuses, il a repoussé les attaques de l’armée turque « Yıldırım » (« Éclair », C.A.) face aux renforts ennemis. Ils n’ont justifié leur nom que dans la retraite.
Comme vous pouvez le voir, c’était à la veille de l’armistice que les légionnaires ont reçu leur baptême du feu, mais ils ont néanmoins rempli leurs devoirs militaires. Ils sont restés en poste encore deux ans, durant lesquels ils ont mené bien d’autres combats, et le nombre de leurs morts n’est pas seulement de vingt-trois, mais dépasse cent vingt-trois. Cependant, les derniers ne sont pas enterrés et reposent dans un coin isolé de champs inconnus. Ils ont combattu dans de nombreuses batailles inégales, parfois avec de lourds sacrifices, mais toujours en triomphant. Ce fait n’a pas échappé non plus à leurs commandants français : tous les morts avaient reçu leurs blessures soit au front, soit à la poitrine.
À chaque fois qu’une mission périlleuse devait être accomplie, les « Hagop » et les « Kaloust » sortaient des rangs et murmuraient à l’oreille de leurs commandants qu’ils n’avaient pas oublié les voix des « Martiros » et des « Jinkirian » qui étaient tombés sur la colline d’Arara et qui avaient dit : « Vengez-moi aussi ». Mais arriva le jour où les « Hagop » et les « Kaloust » tombèrent également héroïquement sur le chemin du grand serment national. Kaloust, ayant perdu son bras gauche, je l’ai embrassé sur le front et voulu lui dire quelques mots de réconfort, mais j’avais tort, car il n’avait nul besoin d’encouragement. Sa réponse fut : « Ce n’est pas mon bras qui me fait mal, tu sais bien que je devais combattre pour plusieurs, et je n’ai pas encore pris ma revanche ».
Comme vous le voyez, même les derniers tombés n’avaient pas encore vengé leurs frères. Il appartient donc à la nouvelle génération de venger cette mémoire fraternelle, et si l’occasion se présente, d’agir de nouveau sans pitié envers l’ennemi… »
La photo de Hakob Arevyan, issue du Musée Arménien d’Amérique, publiée dans le livre Les Légionnaires arméniens de Susan Paul Paty