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  • « Le récit de la fleur Hamaspyur » ou « Le mystère de la fleur »

    « Le récit de la fleur Hamaspyur » ou « Le mystère de la fleur »

    « Le récit de la fleur Hamaspyur » ou « Le mystère de la fleur »

    Ուպան (Laserpitium)

    Les contes sont le reflet fascinant de la pensée nationale. Souvent inspirés d’anciens mythes, ils ont traversé les générations sous forme de récits merveilleux ou réalistes, transmis oralement.

    Remplis de symboles et d’allégories, ces récits sont une véritable source de sagesse accumulée au fil des millénaires, où subsistent également les traces de nombreux rites et traditions.

    Depuis des temps immémoriaux, ces contes reflètent de manière imagée l’évolution de la pensée humaine.

    On y retrouve également des scènes rituelles marquées par l’importance magique accordée aux perles et aux coraux, ainsi qu’aux propriétés mystiques de certaines pierres et fleurs, dont les descriptions sont soigneusement consignées (comme nous l’avions mentionné dans « Les perles de Shamir dans la mer »).

    Par ailleurs, les recherches scientifiques actuelles confirment que certaines pierres naturelles ont un impact positif ou négatif sur le corps humain.

    Nos ancêtres percevaient le feu issu de la magie solaire – qu’il soit produit par le frottement du silex ou par la concentration des rayons du soleil à l’aide d’un miroir – comme un puissant symbole du lien entre le Feu céleste et le Feu terrestre.

    Ces croyances ont laissé leur empreinte dans de nombreux contes.

    Parmi les récits merveilleux transmis par nos ancêtres, l’histoire d’une fleur extraordinaire nommée « Hamaspyur » occupe une place particulière.

    Dans le Dictionnaire explicatif de l’arménien de S. Malkhassian, elle est décrite comme suit :
    « Elle produit douze branches, chacune portant une fleur d’une couleur différente. Elle redonne la vue aux aveugles, et son parfum confère force et énergie. »

    Dans le Dictionnaire des dialectes arméniens (Érévan, 2001), son équivalent dans le dialecte de Van est appelé « Khambek ».

    À Erevan, au Matenadaran de Mésrop Machtots, neuf manuscrits anciens se distinguent parmi des milliers d’autres, car ils conservent une légende fascinante sur la fleur magique Hamaspyur, intitulée « Histoire de la fleur Hamaspyur » ou « À propos de la fleur » (également connue sous le nom de Hamaspran).

    Il y a plusieurs décennies, en examinant ces manuscrits, S. Avdalbegyan écrivait :
    « Ce récit décrit en détail les pouvoirs miraculeux attribués à cette fleur. »

    Le récit évoque une fleur aux propriétés extraordinaires :

    « Si tu la portes à ton oreille, tu comprendras toutes les langues humaines et celles des animaux. Si tu la portes à ton nez, tu sentiras un parfum céleste. Si tu la poses sur ta langue, tu pourras parler toutes les langues et enseigner la sagesse. Si tu la touches du bout des doigts, tu maîtriseras tous les arts et métiers. Et bien d’autres prodiges lui sont attribués… »

    Dans la 26ᵉ parabole de Mkhitar Gosh, une autre version du mythe décrit la fleur Hamaspran comme étant choisie parmi toutes pour ses propriétés uniques :

    « Elle guérit les malades, donne une vision perçante, permet de marcher sur l’eau et confère la sagesse aux ignorants. »

    Dans son poème « Éloge des fleurs », le poète David Saladzortsi (XVIIᵉ siècle) décrit une créature fascinante :

    « Le roi des serpents, blanc comme neige,
    Suit la trace de la Hamaspyur et puise sa force dans son parfum. »

    La légende raconte que le roi-serpent, dont le regard brûle et anéantit ses ennemis, obtient sa puissance de cette fleur sacrée.

    Dans son ouvrage « Ancienne foi ou religion païenne des Arméniens », Ghevond Alishan fait également référence à la Hamaspyur et la compare aux plantes sacrées mentionnées dans les manuscrits médiévaux.

    Selon Mkhitar Heratsi, médecin du Moyen Âge :

    « Elle possède une racine unique, douze branches, et chaque branche porte une fleur d’une couleur différente. »

    Sa cueillette devait se faire de nuit, car elle brille davantage dans l’obscurité.

    D’un point de vue botanique, cette description semble correspondre aux Lychnis orientalis, observés et décrits par Tournefort.

    Enfin, Pline l’Ancien rapporte que l’Arménie était autrefois réputée pour ses plantes médicinales, dont certaines étaient très prisées à Rome.

    L’upane et la hamaspyur, autrefois considérées comme des plantes de vie, furent exportées en masse d’Arménie avant de disparaître complètement du paysage botanique arménien.

    La hamaspyur, selon Mkhitar Gosh, est une fleur du monde, qui libère de la mort, confère sagesse et force, et accorde même la capacité de marcher sur l’eau.

    Les poètes arméniens, tels que David Saladzoretsi et Minas Tokhattsi, l’ont célébrée en ces termes :

    « Elle est la fleur des fleurs, aux mille couleurs,
    Qui rend la vue aux aveugles,
    Possède douze racines et ne fleurit qu’une fois tous les douze ans…
    Son parfum enivre même les anges. »

    Cette fleur sacrée pousse sur des hauteurs inaccessibles : le Mont de l’Amour, le sommet de Makhput, les montagnes de Darounik, Bard, Massis, et d’autres lieux mythiques.

    On raconte que la hamaspyur et le balsam Navrouz sont protégés par Shahmar, le serpent-roi, dont la puissance provient du parfum envoûtant de la fleur.

    Dans la symbolique arménienne, la hamaspyur est assimilée à l’arbre cosmique, qui relie la terre et le ciel. Son apparition rare, son éclat et ses pouvoirs font écho à des mythes universels où l’ordre cosmique est perpétuellement menacé par le chaos.

    Selon Tamar Hayrapetyan, les plantes médicinales comme la hamaspyur, le loshtak et le fenna étaient vénérées en raison de leurs vertus curatives, laissant une profonde empreinte dans la culture populaire arménienne.

    L’écrivain Hovhannes Toumanian percevait ces récits comme des gouffres profonds, mystérieux et infinis… pour d’autres, ils sont comparables à un « jardin enivrant de parfums ».

    Aujourd’hui, une seule plante survit encore dans la tradition des initiés comme fleur de jouvence : l’Astragale, dont les variétés jaunes et violettes sont encore utilisées en phytothérapie.

    🌿 Que vos jours soient emplis de senteurs florales… 🌸

  • HAZARASHEN ou « Là où la lumière traverse le toit… »

    HAZARASHEN ou « Là où la lumière traverse le toit… »

    HAZARASHEN
    ou
    « Lorsque la lumière descend par l’ouverture du toit… »

    Dans les récits antiques de la création, la victoire de la Lumière sur les Ténèbres occupe une place centrale.

    À l’occasion des discussions sur les théories de la formation de l’Univers et de la Vie, Yeznik Koghbatsi (Ve siècle), dans son ouvrage « Réfutation des sectes », évoque la doctrine épicurienne de l’« Univers Éternel et Autogène », et décrit comment la lumière d’un rayon, entrant par une ouverture, éclaire la fine poussière en suspension, illustrant ainsi le commencement de la Création.

    (338) Quant aux épicuriens, ils considèrent le monde comme entièrement autogène, expliquant que, primitivement, des particules de poussière flottaient, à l’image de celles qui apparaissent dans un rayon de lumière pénétrant par une lucarne. Ils affirmaient ainsi que les premiers éléments étaient des corps indivisibles et insécables, et que c’est par leur agglomération progressive que le monde s’était formé de lui-même, sans l’intervention d’un Dieu ni d’aucune Providence gouvernant le monde.

    Hazarashen (Photographie de Samvel Karapetyan)

    Dans les différentes régions du Haut-Plateau arménien, depuis l’Antiquité, les habitations et les édifices cultuels possédaient leurs propres sources d’éclairage naturel : les « Loysijots », ou « Lusantsuyts », autrement dit les ouvertures zénithales (yerdik). Selon les circonstances, ces ouvertures étaient recouvertes à l’extérieur d’une couche imperméable de végétation et de terre, tandis que dans les temples païens, elles étaient dotées d’un obturateur spécial, manœuvré de l’intérieur à l’aide d’une longue perche.

    L’un des exemples les plus remarquables est le Hazarashen, une structure impressionnante composée de milliers de pièces de bois, formant une superposition de poutres courtes ou de rondins disposés en cadres polygonaux et rétrécissant progressivement vers l’ouverture centrale.

    Outre son rôle dans l’éclairage et la ventilation, le yerdik symbolisait également la maison, ses habitants, la famille, le foyer et la fumée du foyer.

    Les chroniqueurs arméniens (Yeznik, Agathange, Buzand…) et plus tard d’autres historiens ont utilisé le comptage des yerdik—ou recensement des fumées—comme méthode pour estimer la population. Ainsi, Buzand écrivait : « Vingt mille foyers arméniens ».

    Les habitations traditionnelles arméniennes possèdent des toits en dôme dont l’origine remonte à l’Antiquité. Ces toits étaient construits selon deux techniques principales reposant sur une structure en bois.

    La première, plus simple et rudimentaire, consistait en un assemblage de poutres posées parallèlement aux murs de la maison et se rétrécissant progressivement vers l’ouverture centrale du toit (yerdik). L’espace entre ces poutres était comblé par des planches de bois brut fendues.
    Ce type de toiture était particulièrement répandu dans les régions du nord-est et dans les villages de la vallée du Çoruh et du Karabagh, où le bois de construction était relativement abondant.
    On le retrouve sous plusieurs appellations : kondatsatsk, soghomatsatsk, soghomashen, mais le plus souvent sous les noms de gharnavouch et gharnaghouch.

    La seconde technique, plus élaborée, reposait sur une structure en bois composée de poutres courtes ou de chevrons formant un polygone qui se resserrait progressivement vers l’ouverture centrale.
    Ce type de toiture était privilégié dans les régions où le bois était rare et les précipitations abondantes, notamment en Haute-Arménie. Il est connu sous le nom de Hazarashen ou Hazarashenk.
    Ce terme était couramment utilisé par les habitants de Kars, Bayazet, Bulanikh, Basen, Mush, Alashkert, Sébaste, Bayburt, Derjan, Sassoun, Leninakan, Akhalkalak, Akhaltsikh et dans d’autres localités proches de ces régions.

    En fonction des régions, le hazarashen est aussi appelé dastatsatsk (notamment à Ghukasyan et dans certains villages de Leninakan), soghomakash (à Yeghegnadzor, Lori et Shabin-Karahisar), Soghomakagh (à Alaverdi) ou encore syurmakash et shushatsatsk ailleurs.

    Ces différentes appellations sont souvent employées de manière interchangeable, ce qui peut prêter à confusion. Cette diversité de noms s’explique par les migrations et réinstallations successives des populations arméniennes au fil des siècles.


    Parmi toutes ces appellations, c’est Hazarashen qui est resté le plus répandu et le plus fidèle à son origine. Son nom vient du fait que cette toiture était construite avec « des milliers » de morceaux de bois.
    (Citation extraite de l’étude de S. V. Vardanyan, Hazarashen et son rôle dans l’architecture arménienne).

    Depuis les anciens temples arméniens, où la lumière du Soleil illuminait la statue de la divinité, jusqu’aux premières habitations dotées d’une ouverture centrale (yerdik) et d’un foyer, en passant par les palais du Moyen Âge et les bâtiments modernes, Hazarashen a traversé les siècles en incarnant une quête d’élévation, orientant toujours notre regard vers le haut, vers la Lumière immaculée…

    Le plafond de la salle d’exposition du Musée ethnographique, conçu dans le style Hazarashen.
    Photo de N. Chilingaryan.

    Au Musée ethnographique de Sardarapat.

  • « Trndez, vois la puissance de la braise,Sème une seule graine, récolte-en mille. »

    « Trndez, vois la puissance de la braise,Sème une seule graine, récolte-en mille. »

    « Trndez, vois la puissance de la braise,
    Sème une seule graine, récolte-en mille. »

    La fête de Trndez, qui symbolise le Feu Créateur réchauffant la Terre et les Hommes, est une célébration du feu. Comme l’explique le prêtre Harout Arakelyan, selon le calendrier sacré haykien, elle est observée le jour de Hrant du mois de Hrotits (le 15 février) à travers des rites uniques visant à accompagner le passage de l’hiver au printemps.

    Tout comme la fête de Barekendan, célébrée à la même période et suivant une logique similaire, Trndez a une signification rituelle liée à l’éveil prochain de la nature. Elle célèbre l’arrivée d’une nouvelle année agricole prospère et abondante, accompagnée de rites destinés à assurer la fertilité et la fécondité.

    L’homme étant une partie inséparable de l’Univers et de la Nature, l’épanouissement de la nature annonçait et encourageait également de nouvelles unions et la croissance des familles.

    « Le feu de la fête est apporté par les prêtres depuis la flamme inextinguible de l’Atarshan brûlant dans les temples, où ils lui confèrent une puissance magique à travers des rites.
    À la fin de la célébration, les participants ramènent cette même flamme chez eux pour allumer leur foyer, leur four (aujourd’hui sous forme de bougies) », explique le prêtre Harout Arakelyan.

    Une description de la fête de Trndez telle qu’elle était célébrée par les Arméniens de Kharberd et de ses environs, d’après Youshamatean :
    « Elle a lieu en février. Le soir, à Kharberd, Hiuséinik et Mezireh, les Arméniens allument des feux sur les toits des maisons. De grands tas de branches brûlent pendant deux ou trois heures, tandis que les jeunes filles et garçons dansent en cercle autour du feu et chantent, certains sautant même par-dessus les flammes.
    Dans les villages alentour, Melèt (Trndez) est célébré avec faste.
    D’abord, une messe est célébrée en soirée, puis les villageois, bougies allumées, se dirigent vers leurs quartiers respectifs pour allumer le bûcher.
    Dans certains villages, un seul feu est allumé dans la cour de l’église. À Barchandj (Berdjentch/Akchakiraz), c’est la personne ayant fait la plus grande donation à l’église ce jour-là qui a l’honneur d’allumer le brasier. Après cette flambée solennelle, la population regagne ses foyers, bougies à la main, et la fête se poursuit sur les toits.
    Chaque famille allume alors un petit feu et continue à chanter et danser. Comme combustible, on utilise souvent du tsrdeni (une variété d’arbuste).

    Le jour de Melèt (Trndez), les jeunes participent avec enthousiasme à la collecte de bois.
    Les cendres du bûcher sont également considérées comme ayant un pouvoir protecteur : les villageois les dispersent sur leurs toits pour éloigner les scorpions et serpents en été, ainsi que dans les étables, poulaillers, granges, champs et vignobles, croyant que Melèt (Trndez) apportera fertilité et abondance.

    Dans le village de Datem, Garib Shahbazian rapporte que la tradition de Melèt (Trndez) impose une exigence stricte aux hommes nouvellement mariés :
    Ils doivent apporter une grande quantité de bois à l’église et le déposer à son seuil.
    S’ils manquent à ce devoir, Shvot (l’esprit malveillant) risque de s’abattre sur eux et de leur enlever leur jeune épouse.

    Réchauffés par le feu sacré du bûcher, qui accorde fertilité aux champs et bénédiction aux jeunes mariés, les villageois expriment encore aujourd’hui leurs souhaits et prières :
    « Que nos poules pondent, que nos vaches donnent du lait, que nos jeunes mariées enfantent »…

    Les chants arméniens dédiés aux jeunes époux et aux amoureux résonnent encore et résonneront toujours lors de Trndez :

    Jeune fille, ton nom est Vardanouch,
    Tu es belle, ton baiser est doux,
    Donne-moi un baiser, que pourrait-il arriver ?
    Ni il ne s’use, ni il ne vieillit.

    Ô Gourgen, Gourgen, tu as trop parlé,
    Mais tu n’as pas dit l’essentiel.
    Aimer un jour, c’est une folie,
    Soupirer d’amour, c’est un tourment.

    Ô jeune fille, Vardanouch,
    Je porte ton fardeau,
    Je taille pierre et roc,
    Et je te rends heureuse.

    L’amour sied à celui qui aime,
    Ce vin, à celui qui sait le savourer.

    Nous remercions Kourm Harout Arakelyan pour cette photo
  • Le pillage du siècle : La spoliation des Arméniens dans l’Empire ottoman

    Le pillage du siècle : La spoliation des Arméniens dans l’Empire ottoman

    Le pillage du siècle : La spoliation des Arméniens dans l’Empire ottoman

    « Le pillage du siècle » – Auteur : Anahit Astoyan

    Depuis des siècles, les Arméniens ont combattu pour leur indépendance et la restauration de leur État, luttant pour libérer leur patrie de la domination des empires ottoman et russe. Leur objectif était de reconstruire une Arménie forte en unifiant la nation arménienne dans son berceau historique, le Haut-Plateau arménien.

    Après la guerre russo-turque de 1877-1878, la « Question arménienne » est devenue une partie intégrante de la « Question d’Orient ». Pour y répondre, l’Empire ottoman a mis en place diverses stratégies visant à affaiblir et à détruire progressivement les Arméniens, tant économiquement que matériellement, en recourant à des persécutions, des massacres et des expropriations répétées.
    Malgré ces violences constantes, les Arméniens occupaient une place prépondérante dans l’économie ottomane, jouant un rôle clé dans le commerce et l’industrie.

    Au début du XXe siècle, de nombreuses sources arméniennes et étrangères témoignaient encore de la puissance économique des Arméniens.

    Dans un mémorandum adressé au ministère français des Affaires étrangères le 12 juin 1917, Boghos Nubar Pacha, président de la Délégation nationale arménienne, indiquait que les Arméniens contrôlaient 60 % du commerce des importations, 40 % des exportations et plus de 80 % du commerce intérieur.
    Dans les six provinces arméniennes (Erzurum, Van, Bitlis, Diyarbakır, Kharpert, Sivas), ils détenaient entre 69 et 86 % des secteurs du commerce, de l’industrie et de l’artisanat.
    De plus, les écoles arméniennes, entièrement financées et gérées par leurs communautés, représentaient plus de 80 % de l’ensemble des établissements scolaires du pays.

    Le 16 octobre 1920, le journal new-yorkais « Kotchunak Hayastani », dans un article intitulé « La situation à Bursa », rapportait qu’avant 1915, 40 des 50 manufactures de soie de Bursa et de ses environs appartenaient aux Arméniens.
    D’autres sources, arméniennes et étrangères, attestent également qu’à Erzurum (Karin), les Arméniens possédaient plus des deux tiers des 3 000 magasins de la ville. Par ailleurs, M. Vrotenko écrivait déjà en 1835 : « Les marchands les plus fortunés des villes de l’intérieur de l’Asie Mineure sont des Arméniens. »

    L’une des rares études consacrées aux pertes matérielles subies par les Arméniens à la suite du génocide de 1915 est celle d’Anahit Astoyan : « Le pillage du siècle : la spoliation des Arméniens dans l’Empire ottoman, 1914-1923 », publiée à Erevan en 2013.
    Cet ouvrage exceptionnel, basé sur des archives officielles, des témoignages arméniens, turcs et étrangers ainsi que sur des articles de presse, met en lumière le pillage méthodique et la confiscation des biens arméniens orchestrés par les autorités ottomanes et leurs alliés.
    Voici quelques extraits marquants :

    « Parmi les populations chrétiennes de l’Empire ottoman, les Arméniens se distinguaient par leur dynamisme, leur persévérance et leur savoir-faire. Ils occupaient une place centrale dans l’artisanat, le commerce et l’industrie, et constituaient les principaux contribuables de l’Empire.
    Malgré cela, ils devinrent les victimes du pouvoir ottoman et de la population musulmane.
    Par les persécutions et les massacres, les autorités ottomanes réussirent à briser la vitalité du peuple arménien, tandis que la population musulmane, profitant du chaos, les exterminait et pillait leurs biens. »

    (Extrait de « Militarisme » de Guglielmo Ferrero)

    « Le diplomate britannique Pears estimait que l’une des causes majeures des massacres hamidiens était que les Arméniens avaient pris le contrôle des secteurs économiques stratégiques et jouaient un rôle moteur dans le développement du pays. »

    Le 31 octobre 1915, dans un télégramme envoyé de Constantinople au ministre italien des Affaires étrangères Sonnino, le commissaire Taliani, chargé de la protection des citoyens italiens en Turquie, rapportait :

    « Les biens des Arméniens déportés sont en principe transférés au trésor public, mais dans la plupart des cas, ils finissent dans les poches des fonctionnaires turcs. »

    L’historien Johannes Lepsius constatait avec amertume :

    « Un pillage d’une telle ampleur, sans précédent dans l’histoire, ne pouvait exister que sous le régime ottoman. »

    Dans un autre ouvrage, il notait également :

    « Les Arméniens déportés ont dû abandonner l’intégralité de leurs biens : maisons, terres, bétail, outils ménagers et agricoles. La déportation était en réalité une confiscation organisée des richesses arméniennes. »

    L’ambassadeur américain Henry Morgenthau dénonçait sans détour :

    « Le but réel des déportations était le pillage et la destruction. C’était une nouvelle forme d’extermination.
    Lorsque les autorités ottomanes ont donné l’ordre de ces déportations, elles ont signé l’arrêt de mort d’un peuple tout entier.
    Elles en étaient parfaitement conscientes et ne s’en cachaient même pas dans nos discussions. »

    L’explorateur norvégien Fridtjof Nansen, dans son livre « Un peuple trompé », écrivait sur les pertes matérielles des Arméniens :

    « Les autorités turques ne se sont pas contentées de déporter et massacrer des milliers d’innocents. Elles ont également pris possession de tous leurs biens, dont la valeur se compte en milliards. »

    Les pertes matérielles causées aux Arméniens par le génocide orchestré par le gouvernement ottoman entre 1915 et 1923 atteignent une somme si colossale qu’elle dépasse toute capacité de calcul humain.
    L’évaluation exacte est d’autant plus difficile que la valeur totale des biens arméniens en Anatolie reste méconnue.

    Un témoignage illustre le pillage des richesses des Arméniens d’Erzurum (Karin) :

    « Ce n’est qu’au moment des déportations que l’on prit conscience de l’ampleur des richesses des Arméniens de Karin, suscitant la stupéfaction.
    Une fortune qui, si elle avait été mobilisée pour la défense, aurait pu accomplir des miracles et changer le cours de l’histoire des Arméniens du Haut-Arménie et des provinces voisines.
    L’exil forcé mit au jour ces biens, souvent cachés ou sous-estimés.
    Des milliers de ballots furent entreposés dans l’église Sainte-Mère-de-Dieu, dans des institutions américaines et chez des Turcs considérés comme ‘amis’ et de confiance.
    Des centaines de chariots et d’animaux de trait transportèrent hors de la ville les seuls biens essentiels des Arméniens, ainsi que leurs objets les plus précieux et une partie de leur or.
    Des quantités inimaginables de pièces et de lingots d’or furent découvertes, dissimulées sur les membres des familles ou enfouies dans leurs affaires.
    Tout au long de leur chemin, ces richesses furent pillées, vendues ou échangées contre des pots-de-vin et des rançons, des montagnes d’or passant entre les mains de Turcs et de Kurdes.
    Seuls quelques centaines d’Arméniens – femmes, jeunes filles, mais aussi quelques hommes et garçons – parvinrent à s’échapper et à atteindre Urfa, Suruç, Alep et Mossoul, survivant jusqu’à l’armistice de 1918.
    Ils furent témoins des atrocités inhumaines et du génocide perpétré par le gouvernement turc avec la complicité de la police, de l’armée et des milices turques et kurdes. »

    « Les richesses des Arméniens furent saisies non seulement par l’État turc et la population turque, kurde et circassienne, mais aussi par des étrangers.
    Après l’armistice de Moudros, la presse arménienne publia de nombreux témoignages confirmant ces faits. »

    Dans le contexte des évolutions politiques actuelles, la reconnaissance du génocide arménien et la réparation des préjudices subis – par le biais de compensations aux descendants des victimes, à la nation arménienne et de la restitution d’une partie du territoire – nécessitent la préparation d’une action judiciaire contre la République de Turquie, héritière de l’Empire ottoman.

  • « Le grenadier incarne mon pays » ou « Le printemps parlera arménien, et les siècles résonneront en arménien »

    « Le grenadier incarne mon pays » ou « Le printemps parlera arménien, et les siècles résonneront en arménien »

    « Le grenadier incarne mon pays » ou « Le printemps parlera arménien, et les siècles résonneront en arménien »

    Պարույր Սևակ

    Le 14 avril 1914 naissait Hamo Sahyan, le poète arménien qui, avec ses « lèvres imprégnées de rosée », a chanté son pays natal, sa Patrie et son Chant des falaises.

    Profondément ancré dans l’héritage culturel de ses ancêtres, il nous laisse des vers qui résonnent encore aujourd’hui…

    Son amour pour la terre ancestrale, ce Pays de Nairi, transparaît dans son combat pour le « Peuplier verdoyant de Nairi », qu’il a célébré dans ces vers :

    (Poème traduit avec fluidité pour préserver le rythme)
    Tu ondules et tu danses, drapé dans ton vert d’émeraude,
    Projette ton ombre sur les chemins de mon enfance,
    Ton appel vibre, clair et intense,
    Au plus profond des gorges de mon cœur,
    Ô toi, mon lointain, mon cher peuplier de Nairi !

    (Extrait du poème « Peuplier verdoyant de Nairi »)

    Traduire la poésie, c’est révéler un pays à travers ses arbres.

    Le grenadier, c’est l’image même de mon pays.
    Il ne demande rien et, même dans la sécheresse, il donne ses fruits. Il fleurit encore et encore, tour à tour vert, blanc, jaune, rouge… Il est humble, généreux, mais aussi couvert d’épines.

    C’est à travers un buisson de grenadier enraciné dans la roche que l’étranger doit me reconnaître. Son parfum est envoûtant, sa couleur éclatante, son fruit généreux. Ses racines sont profondes et solides – essaye donc de l’arracher…

    Le grenadier ne sait pas combien il est précieux, combien il est beau, combien il est essentiel.

    Il ne sait pas qu’il est l’âme de l’Arménie, un reflet du caractère de notre peuple.

    Cela, c’est à nous de le savoir et de le faire savoir aux autres.

    Le grenadier a la force du rocher de Toumanian…

    Se comprendre soi-même, c’est aussi comprendre le grenadier.

    Hamo Sahyan, dans ses propres mots (cité de la page de Susanna Babajanian).

    « Je suis les yeux et les oreilles de la Nature,
    Sa conscience incarnée. »

    Voilà comment il se décrivait lui-même.

    Et selon Paruyr Sévak, il était l’un des « meilleurs versificateurs » de la poésie arménienne.

    Preuve en est…

    «Notre langue»

    Notre langue, c’est notre conscience,
    Le pain sacré sur notre table,
    L’écho juste de notre âme,
    Et le goût même de nos paroles.

    Notre langue, c’est la fumée du foyer,
    Notre équilibre dans le monde,
    Le sel de notre identité,
    Le secret intime de notre être.

    Notre langue, c’est notre sang,
    Plus précieux encore que le sang,
    C’est notre parfum, notre couleur,
    C’est nous, tout simplement.

    Elle doit être notre premier
    Et notre dernier amour.
    Que possédons-nous d’aussi précieux,
    D’aussi profondément nôtre ?

    « Le printemps arrive en arménien »

    Le printemps arrive en arménien,
    Les neiges pleurent en arménien,
    Les rivières grondent en arménien.

    Les oiseaux chantent en arménien,
    Les charrues creusent en arménien,
    Les lettres s’élèvent en arménien.

    Le soleil se lève en arménien,
    Les arbres fleurissent en arménien,
    Les mots explosent en arménien.

    Les graines germent en arménien,
    Les mains sculptent en arménien,
    Les pierres se taisent en arménien.

    Les vallées respirent en arménien,
    Les martyrs reposent en arménien,
    Les douleurs gémissent en arménien.

    Qu’importe ce qui a été perdu,
    Tu es resté arménien,
    Tes montagnes renaissent en arménien.

    Que Dieu garde ce qui est,
    Et quoi qu’il arrive,
    Les neiges pleureront en arménien,
    Le printemps reviendra en arménien,
    Et les siècles parleront arménien.

  • «Sous le roseau, de la fumée s’élevait. Sous le roseau, une flamme jaillissait, Et de la flamme surgissait un jeune homme blond»

    «Sous le roseau, de la fumée s’élevait. Sous le roseau, une flamme jaillissait, Et de la flamme surgissait un jeune homme blond»

    …«Sous le roseau, de la fumée s’élevait.
    Sous le roseau, une flamme jaillissait,
    Et de la flamme surgissait un jeune homme blond»…

    Avec l’incroyable clairvoyance de Khorenatsi, les lignes mentionnées plus haut, tirées de la célébration de la naissance de Vahagn, encapsulent une sagesse ancienne avec une profondeur fascinante.

    Le feu, la fumée, et la flamme sacrée (associée au soleil et à la lumière) étaient vénérés par nos ancêtres comme source de vie et énergie créatrice, incarnés dans les grandes figures divines du panthéon arménien, telles que Chanti, Pailak (connues également sous les noms de Teshub ou Tarku-Tork dans la mythologie, et dans la littérature, divinité du tonnerre et de l’éclair, équivalent de Zeus ou Jupiter, puis assimilées à Aramazd, Mihr, Vahagn).

    Ces traditions, bien qu’altérées par le passage des millénaires, demeurent vivantes dans nos fêtes et rituels d’aujourd’hui.

    Dans nos foyers ancestraux, la bénédiction « Que ton foyer soit florissant ! » résonne encore, véhiculant le message de garder la flamme du foyer allumée, transmis de génération en génération par le rituel de la fumée montante.

    Les terres mentionnées comme Pays du Feu dans les inscriptions antiques – Nairi (Mitanni, plus tard Ourartou/Biainili) – brillaient autrefois des feux sacrés de leurs temples. Aujourd’hui encore, leur éclat persiste dans les bougies, les veilles rituelles, et les torches utilisées pour des cérémonies modernes.

    Avec des variations subtiles…

    Dans le monde antique, le Feu Céleste a peu à peu laissé place à la symbolique de la Lanterne. Cette dernière joue un rôle central, par exemple, dans les Jeux panarméniens, où la torche allumée devient un écho des anciennes traditions olympiques du mont Olympe.

    Prométhée, descendant de Japet et ancêtre mythique d’Haïk, aurait apporté le feu aux mortels après l’avoir volé aux dieux. Ce geste, porteur de connaissance et de sagesse, lui valut une punition sévère : être enchaîné à un rocher.

    Ainsi, chaque progrès humain, chaque conquête de la connaissance, demande des sacrifices.

    Transmettant la lumière et la chaleur du soleil aux hommes, Prométhée a contribué au développement de nombreux arts et techniques, tels que la métallurgie, l’astronomie et l’architecture. De même, dans les mythes sumériens, Enki diffusait la lumière et la sagesse grâce à Oannes, une figure mi-homme mi-poisson.

    Dans les temples antiques, le feu sacré éternel était symboliquement « capturé » par des rayons solaires concentrés avec des miroirs paraboliques (skaphia).

    Les athlètes portaient ensuite ces flammes, en hommage aux anciens dieux, depuis le sanctuaire d’Hestia jusqu’au lieu des jeux.

    Dans une reconstitution moderne de ces traditions, on retrouve parfois des prêtresses vêtues de blanc, célébrant l’allumage des torches…

    Comme l’évoquait magistralement Varoujan : « …Une lumière émergeait à travers les roseaux… »

    Ci-joint, une superbe lampe à sept branches de 4 à 5 millénaires, provenant de Metsamor…

  • L’Appel

    L’Appel

    «L’Appel»

    « « Oh, Maratouk ! » – c’était le cri avec lequel Moushegh Galshoyan lançait chacune de ses œuvres. À l’image des habitants de Sassoun, il puisait son inspiration dans cette montagne sacrée, implorant d’elle la force et la vigueur nécessaires pour parfaire ses écrits avec un accomplissement artistique. Il a éternisé à travers sa plume les récits et les histoires des témoins de sa patrie, les vestiges du passé et la nature, ainsi que les nobles fils de l’Arménie restés fidèles à leurs idéaux. Les destins des héros des récits de Moushegh Galshoyan sont intimement liés à leur terre et à la nature. Même au loin, ils se trouvent dans « les champs au pied de Tsovasar », sur les pentes du Maratouk ou « dans la neige des montagnes donnant sur le village », nourris par des souvenirs éclatants des « jours anciens et nouveaux, des jours recouverts de mousse », avec le langage familier et les conversations de leur terre natale, animés d’une nostalgie jamais éteinte… Et ils lèguent ce message à la nouvelle génération : « Comme un poisson, tu reviendras par le chemin que j’ai parcouru… Ce chemin, tel un fil enchevêtré entre montagnes et vallées, plein de combats et de massacres où je me suis égaré, tu le démêleras et reviendras, poisson… » Un autre exemple de cette nostalgie est l’appel d’amour des jeunes années de Zoro, interrompu de manière tragique par le génocide des Arméniens, mais qui resurgit des décennies plus tard. Cinquante-cinq ans après, alors qu’il cherchait du vin pour le mariage de son plus jeune fils, il croise par hasard, parmi les pierres fleuries du « Mont Marouta voilé de soie », « sa petite Aleï sautillant de pierre en pierre, avec une couronne de fleurs sur la tête ». »

    L’Appel

    « Aleeee… Aleee, mon amour, Aleeee… » Le vieillard, appuyé sur son bâton, lançait son appel mélodieux. Les agneaux étaient dispersés sur les flancs de la montagne, mais Zoro… le vieux Zoro n’était pas un berger. Il n’y avait pas de berger fixe dans le village ; chaque jour, quelqu’un prenait en charge le troupeau, et ce jour-là, c’était au tour de Zoro. Grand et robuste, Zoro, adossé à son bâton, appelait en chantonnant : « Aleeee… Aleee, mon amour, Aleeee… » Depuis le lever du soleil, il s’était appuyé sur son bâton et continuait de lancer son appel.

    Ah, c’était quand… au printemps, par un matin si doux et si bleu, un monde bleu tout entier, la montagne de Marouta cachée sous un voile bleu, les vallées et les gorges baignées dans le ciel bleu, le souffle des villages accrochés aux crêtes et à l’entrée des gorges avait aussi cette teinte bleue. Le bleu se répandait dans la vallée, poussé par la respiration rapide de Talvorik… Les agneaux et les chevreaux, étalés au pied de la montagne de Marouta, dressaient les oreilles et faisaient leurs premières découvertes du monde et du printemps. Les jeunes animaux, avec leurs museaux et leurs petites langues, effleuraient prudemment les pierres, les mousses ornementées, humaient l’odeur de la terre, tressaillaient au bruissement des joncs et des épines sèches, et sautaient d’une pierre à l’autre au bruit des moineaux qui s’agitaient. Les jeunes animaux exploraient le monde et le printemps, tandis que Zoro, un garçon d’une dizaine d’années, se tenait sur un rocher teinté de bleu, tournoyait sa fronde avec force – whiii, whiii – et lançait des pierres dans le ravin.

    C’était justement ce qui était fascinant :
    La pierre filait à toute vitesse vers le fond de la vallée, mais soudain, sa trajectoire se brisait, et la pierre, telle un corbeau abattu, tombait en battant des ailes vers la vallée.
    Un groupe coloré de jeunes filles cueillant des légumes s’agitait en remontant la pente. Parmi elles, il y avait la petite Aleï, sept ou huit ans, Aleï aux yeux noirs étincelants et aux deux fines tresses, Aleï aux pieds nus, avec son tablier coloré, vive comme une flamme. Comme le chevreau blanc à oreilles tachetées de Zoro, Aleï bondissait de pierre en pierre…
    Aleï… Elle avait tressé une couronne de fleurs et l’avait posée sur sa tête… Aleï, un bouquet de fleurs multicolores se balançant dans la brise…
    La petite Aleï… Et Zoro comprit soudain, sentit, qu’elle était sa Aleï, à lui et à personne d’autre, sa Aleï.
    Ce monde bleu était à lui, ce champ du matin, la montagne de Marouta voilée de soie, le morceau de nuage blanc tombé sur le monastère de la Vierge Marie comme une lumière, le grondement de la rivière tortueuse de Talvorik, la fumée déchirée flottant au-dessus du village, ces chevreaux et agneaux agités et bondissants étaient à lui, le soleil, le ciel, ces pierres fleuries, le rocher sur lequel il faisait tournoyer sa fronde – whooosh, whooosh, whooosh – cette fronde effrénée était à lui, Aleï… la petite Aleï avec sa couronne de fleurs, bondissant de pierre en pierre, était à lui et à personne d’autre, elle était à lui.
    « Aleeee… Aleee, mon âme, Aleeee… »
    Le vieillard, appuyé sur son bâton, lançait son appel mélodieux.
    Ce matin printanier était si bleu et si beau pour lui parce que l’éclipse du soleil allait venir…
    Ce jeune berger au manteau vert avait remarqué, ce matin-là, qu’Aleï, sa petite Aleï, lui appartenait, parce qu’il allait la perdre…


    Et il la retrouva cinquante-cinq ans plus tard…
    Quand il mariait son plus jeune fils, Zoro décida de s’occuper lui-même du vin de la fête et, surtout, d’aller le chercher dans la plaine de l’Ararat. Lors des mariages de ses autres fils, les temps étaient durs, et il avait fait des célébrations modestes, presque des réceptions simples. Mais cette fois, grâce à Dieu, il pouvait dresser une grande table pour tout le village et les proches, avec du vin pur et exquis, venant impérativement de la plaine de l’Ararat, fait maison de préférence. Malgré les arguments de ses fils aînés, qui lui conseillaient d’acheter le vin à la cave (rien ne vaut le vin de la cave), Zoro refusa de se laisser convaincre : le vin devait venir de la plaine de l’Ararat, et c’était à lui, Zoro, de le choisir.

    De bon matin, il prit place dans la voiture – son fils du milieu en possédait une – et ils descendirent vers la plaine. Ils entrèrent dans plusieurs villages, mais dans chacun, Zoro goûta plusieurs jarres de vin, sans en trouver aucune qui lui plaise.
    Le soir approchait, et son fils, frustré, accélérait le long de la route bordée d’arbres. Soudain, une route apparut entre les arbres, et Zoro, sans trop savoir pourquoi, s’agita – « Nous l’avons dépassée ! » – et attrapa le volant. La voiture quitta la route et se retrouva dans les buissons. L’accident ne fut pas grave : une simple éraflure sur la portière, quelques bosses. Mais son fils était furieux.
    « Du calme, mon garçon », dit Zoro pour le rassurer. « C’était un signe du destin. »
    « Ce village me plaît », ajouta-t-il.
    Arrivés au centre du village, il demanda à son fils de s’arrêter : « Qu’il soit bon ou mauvais, on prendra du vin ici. »
    Ils se rapprochèrent des villageois rassemblés. Tous avaient du vin et étaient prêts à les emmener dans leurs caves. Tous, sauf un homme silencieux au milieu du groupe, que Zoro choisit d’aborder.
    « Pourquoi je n’aurais pas de vin ? » répondit l’homme. « Celui qui a une vigne a du vin. »
    « Par Dieu, pour le mariage de mon fils, je servirai ton vin », déclara Zoro. « Allons chez toi. »
    Ils arrivèrent dans une maison entourée de vignes, parfumée au vin. Des rangées de piments rouges pendaient du tronc d’un abricotier près de la maison, et une petite vieille femme vive et énergique récoltait ces piments.
    « Belle maison, mon frère. »
    La maison et le jardin plaisaient beaucoup à Zoro.
    « Que Dieu te bénisse », dit-il.
    La vieille femme, entendant cela, se retourna brusquement. Elle s’apprêta à déposer les piments dans un tamis pour s’approcher, mais resta là, avec les piments au bras, fixant Zoro avec intérêt.
    « C’est ta femme ? » demanda Zoro.
    « Oui. Elle vient de ta région », répondit l’homme.
    « De ma région ? Eh bien, viens, viens, ma sœur », s’exclama Zoro en riant. « Viens que je te rencontre ! »
    La petite vieille s’approcha, souriante, tendant la main. Les piments bruissaient doucement sur son bras, et elle lui jeta un regard presque désolé d’accueillir ainsi un invité de sa région.
    « De quel village viens-tu, ma sœur ? » demanda Zoro.
    À cette réponse, Zoro se figea, comme frappé par un coup.
    « Sarekan ? » murmura-t-il péniblement. « Sarekan ? »
    Bien que la vieille fût juste en face de lui, Zoro se pencha encore plus près, plissant les yeux pour plonger dans son regard.
    Les yeux de la vieille femme étaient fatigués et tristes, mais on pouvait y voir une lueur espiègle encore vivante. Zoro baissa la tête, jeta un regard vers son bras où pendaient les piments, puis un sourire, venu de très loin, traversa son visage et se mêla à sa moustache, tandis qu’il chuchotait : « Aleï… »
    Même la vieille femme n’entendit pas son nom.
    « Aleï… » chuchota Zoro en se redressant lentement.
    Il se redressa, s’étira (son fils ne l’avait pas vu aussi droit et fier depuis des années), et, debout, il regarda au-delà de la tête de la petite vieille, cherchant la ligne des montagnes entre les maisons et les arbres. Alors, rassemblant tout son souffle, il appela :
    « Hééé, Aleeeen… Aleeeen… »
    Son regard fixé sur les montagnes lointaines, il répéta encore et encore :
    « Aleeeen… Aleeeen… »

    La vieille, confuse, observait Zoro, qui répétait son nom d’une voix à demi éteinte, les yeux embrumés et lointains. En réponse à ce murmure chaud et lointain, elle sentit les larmes monter.
    Puis Zoro, le regard toujours perdu, se tourna vers la vieille femme et murmura encore une fois :
    « C’est moi, Zoro… Aleï. »
    Il prit doucement ses mains, les pressa contre son front incliné, puis les porta à ses lèvres.

    La vieille fut prise de court : selon la coutume de leur pays, c’était à la femme d’embrasser la main de l’homme. Elle se hâta donc d’embrasser la main de Zoro. Des larmes, oubliées depuis des années, trouvèrent enfin une issue, et c’est dans les mains de Zoro qu’elles vinrent couler.
    Ensuite, ils se mirent presque à se disputer leurs mains pour les embrasser, et les piments rouges suspendus au bras de la vieille bruissèrent près de leurs visages et de leurs yeux. Aleï éternua, rompant le silence de ses larmes paisibles, et frotta ses yeux. Les larmes, si douces, se troublèrent et devinrent piquantes sous ses paupières…

    Face à face, les deux enfants se frottaient les yeux irrités avec leurs poings, se fixant d’un regard flou.
    « Papa, on est en retard », dit le fils.
    Zoro se réveilla de ses pensées. Il jeta un coup d’œil à son fils, examina le maître de maison, puis tourna à nouveau la tête vers Aleï, secouant légèrement la tête.
    « Aleï… » balbutia-t-il. Il voulait dire quelque chose, mais se tourna à nouveau vers le maître de maison. « Donc… c’est ta fiancée… Que vous soyez heureux. » Puis, pressé, il ajouta : « Et le vin, où est-il ? »
    Dans la cave, le maître de maison remplit une mesure en cuivre de vin et la tendit à Zoro. Celui-ci but d’un trait, vidant la coupe en une gorgée, puis s’écria :
    « Ooooh… » Il essuya ses moustaches avec sa paume. « Mon cœur est apaisé… Un vin aussi doux n’a jamais touché mes lèvres, Aleï. Un vin doux. » Puis, la tête penchée et le regard légèrement détourné, il fixa les pieds de la vieille femme debout dans un coin de la cave, avant de dire à son fils : « Tu comprends maintenant, mon garçon, pourquoi nous avons traversé tous ces villages depuis l’aube, et pourquoi nous repartions les mains vides… Tu comprends ? C’est ce vin-là que je cherchais, celui-ci ! Remplissez les jarres ! »
    « Combien, combien de jarres ? » demanda le maître de maison.
    « La jarre entière est à moi. » Il y avait une certaine ardeur dans la voix de Zoro. « Remplissez-la, et ne vous inquiétez pas du prix… Ce vin n’a pas de prix », dit Zoro. « Le seul prix, c’est le vin lui-même, Aleï… Remplissez-les ! »

    Le maître de maison s’approcha pour prendre la mesure, mais Zoro refusa :
    « Remplissez avec autre chose, celle-ci est ma coupe. »
    Peu importe combien le maître de maison tenta de le convaincre qu’il ne fallait pas boire debout, qu’il y avait une table, et qu’ils pourraient bientôt s’asseoir dignement pour se présenter en bonne compagnie, Zoro n’écouta pas. Son fils essaya de le raisonner, et même Aleï intervint, mais Zoro voulait boire là, sur place, et uniquement avec la coupe en cuivre, directement de la jarre.
    Forcée de céder, la vieille apporta du pain et des condiments, mais Zoro ne toucha pas au pain. Appuyé contre le mur près de la jarre, il remplit sa coupe et la but d’un trait, encore et encore, s’essuyant les moustaches et soupirant « Aleï… » dans sa paume.
    La vieille femme s’était assise à la table qu’elle avait dressée avec soin, perdue dans ses pensées. Il y a un instant, elle était encore vive et alerte à l’arrivée de Zoro, mais maintenant, elle s’était tassée sur elle-même, une petite vieille femme songeuse, ses yeux encore irrités, ressentant ses larmes monter à nouveau, vague après vague.
    « On a vu ton mari, Aleï, qu’as-tu d’autre ? »
    « Grâce à Dieu, j’ai des fils, frère Zoro », répondit-elle, tentant de retenir ses larmes. « J’ai des belles-filles, des filles mariées, des petits-enfants. Et toi, frère Zoro, qu’as-tu ? »
    « Grâce à Dieu, j’ai des fils, Aleï », dit Zoro en remplissant à nouveau sa coupe. « J’ai des belles-filles, des filles mariées, et beaucoup de petits-enfants, Aleï. Et ce vin… » Il remplit encore sa coupe. « Ce vin doux, c’est pour la joie de mon plus jeune fils, pour son mariage, Aleï… Hééé, Aleï, mon âme ! »
    Et il se mit à chanter.
    Le maître de maison, penché sur la jarre, jeta un regard furtif vers Zoro, avec un sourire discret, admirant la puissance de son vin.
    « Quel vin doux, Aleï », chanta Zoro dans un souffle entre les couplets. « Tout ce temps, ce vin si doux, et moi qui l’ignorais. Hééé, Aleï ! »
    Puis il reprit sa chanson interrompue.
    Le maître de maison et son fils avaient fini de mesurer et de calculer le vin. Zoro chantait toujours. Le maître alluma une cigarette et s’assit à côté de sa femme, tandis que Zoro continuait de chanter. Son fils chargea les jarres et les petits tonneaux pleins de vin, revint, et se tint au centre de la cave. Zoro, perdu dans sa chanson, continuait de chanter. La coupe en cuivre était maintenant vide. En chantant, il avait renversé la dernière mesure de vin, et sans même s’en rendre compte, s’était aspergé de vin de la tête aux pieds.

    « Hééé, Aleee… »
    Il termina sa chanson de la même manière qu’il l’avait commencée, ouvrit les yeux, mais ne vit personne — ni Aleï, qui semblait s’être évanouie dans la brume, ni le maître de maison souriant, ni son fils, qui lui prit la coupe de cuivre des mains et lui passa le bras sous l’épaule :
    « Allons-y, papa. »
    Zoro changea de bras et s’adossa fermement contre le mur :
    « Par Maratouk, je ne bougerai pas d’ici ! Aleee… »
    Le maître de maison proposa de l’emmener se reposer, de le laisser s’allonger un moment :
    « Hein ? Moi, dormir ? Je n’aurai plus jamais le sommeil dans les yeux ! »
    Il frotta ses yeux avec ses poings :
    « Aleee… » appela Zoro, « où es-tu partie ? »
    Son fils tira encore sur lui, mais Zoro repoussa violemment sa main, lança des jurons et blessa aussi le maître de maison. Il s’agrippa au mur comme un enfant, refusant de se détacher, et répéta :
    « Aleee… »
    Le maître de maison fit une remarque :
    « Tu essaies de me chasser, hein ? »
    Zoro ne répondit pas, non pas par défi, mais parce qu’il refusait de se séparer du mur, de partir :
    « Si tu me chasses, je vais briser ton pain, ton vin, je casserai tes jarres, que Dieu m’en soit témoin ! Aleee… »
    Finalement, le fils et le maître de maison le traînèrent dehors. Zoro, tout en appelant Aleï, regardait autour de lui, mais ne la voyait pas, et continuait à être tiré hors de la cave.
    La vieille femme, bouleversée, tomba à genoux et éclata en sanglots. Dehors, on entendait encore l’appel :
    « Aleee… »
    Personne ne l’avait jamais appelée ainsi, avec autant de chaleur, autant de sincérité, une telle nostalgie, comme une prière, comme une chanson, comme l’écho lointain des montagnes…
    « Aleee… » L’appel s’éloignait peu à peu.

    Zoron criait dans la rue sombre, ils quittèrent le village – de la même manière, et ce, jusqu’à s’endormir. Et endormi, ses lèvres murmuraient : « Allééé… »

    « Les agneaux ? – le vieil homme comprit tardivement la question de son petit-fils – Les agneaux ? – il parcourut du regard les alentours, comme s’il revenait de loin. « Qu’est-il arrivé aux agneaux, agneau ? »

    « Allééé… Allé, mon âme, Alléééé… » Le vieil homme, s’appuyant sur son bâton, lançait ses appels en chantant. Un garçon et une fille montaient sur la pente. C’étaient les petits-enfants de Zoron, les enfants de son fils cadet, celui pour le mariage duquel le vin avait été apporté de la maison d’Allé. Après le mariage, il était descendu une ou deux fois encore dans la plaine pour voir Allé, puis l’hiver arriva, puis le printemps – Zoron, pris dans ses travaux et les tracas quotidiens, se souvenait parfois, décidait de descendre dans la plaine, mais chaque fois, quelque chose le retenait… Et ainsi, les années passèrent. Six ans. Et aujourd’hui… Ce matin, l’âme de Zoron était en émoi. Il avait perdu ses agneaux, sa place sur la montagne derrière le village, son existence… Devant lui, des gorges et des vallées baignées de bleu, la plaine d’Ararat sous un voile flottant, et sur ce voile ondulant, une ceinture d’argent – l’Araxe sinueuse, et plus loin, des contours mouvants sous des tentes battues par la tempête – la chaîne de montagnes arméniennes. Mais pour lui, c’était un autre matin de printemps, un autre monde s’ouvrait à ses yeux avec le printemps, un troupeau d’agneaux et de chevreaux découvrait le bleu, une autre bergerie. Un garçon guidant un troupeau à travers des prairies verdoyantes, et un groupe de jeunes filles récoltant des herbes, et une petite fille couronnée de fleurs bondissant de pierre en pierre…

    « Allééé », appelait le vieil homme, regardant l’horizon, « Alléé, mon âme, Allééé… » Et il ne remarqua ses petits-enfants qu’une fois qu’ils étaient tout près de lui, et la petite fille se frottait contre ses jambes comme un chaton.

    « Où sont les agneaux, papi ? »

    Ses genoux le faisaient souffrir, la terre semblait vouloir l’attirer à elle, il s’assit en gémissant, mais son regard restait irrésistiblement fixé sur l’horizon, tandis que son esprit ne cessait de ressasser la même chose.

    « Les agneaux sont là-bas », dit-il, en pointant vaguement du doigt avec son bâton. « Va les rassembler avec ta sœur, mangez, moi je vais au village et je reviendrai. » Tout au long du chemin du retour, Zoron ne cessa de se blâmer de ne pas avoir rendu visite à Allé plus tôt. Il s’interrogeait : pourquoi ne l’avait-il pas fait ? Était-ce un manque de temps ? Sa vue et ses jambes étaient-elles trop affaiblies ? Avait-il manqué de moyens, ou était-ce à cause de l’absence de transport ? Pourquoi avait-il reporté cette visite qu’il avait pourtant prévue ? Puis, sans trop savoir pourquoi, il en vint à accuser sa femme. Et lorsqu’il rentra à la maison, il était déjà en colère contre elle.

    « Mangeons ! », s’écria la petite fille en ouvrant le paquet à la hâte, « on va tout manger, papy ! » « Un verre de vin ferait du bien », pensa Zoron, et il prit immédiatement une décision : « Je vais me lever et aller voir Allé. »

    « Où sont les agneaux, papy ? »

    « Ils ne sont plus là ? » Zoron, s’appuyant sur son bâton, se releva : « Je vais aller voir Allé. »

    « Ton pain est maudit ! »
    Dès que Zoron franchit le seuil de la porte, la dispute éclata.
    « Maudit », répéta Zoron. « De ta main droite, tu m’as donné du pain, mais de ta main gauche, tu as pris mon âme », ajouta-t-il. « Tu as porté mon âme à ma bouche. Je devrais briser ce bâton sur ta tête ! »
    Et, avec son poing, il frappa son propre front avec le bâton. Il frappa, puis une nouvelle pensée traversa son esprit.
    « Que Dieu me prive de raison… Quelle visite à Allé ? Quelle visite ? Je vais la prendre et la ramener ! »
    La vieille femme se tenait là, hébétée et confuse.
    « C’est toi qui me bloques ! » lança Zoron.
    « Les gens ont raison de dire : l’intelligence de l’Arménien arrive toujours en dernier… Ce jour-là, ce jour du vin, j’aurais dû prendre Allé et la ramener ! »
    « Ce sont tes enfants qui me retiennent. Tes filles et tes fils.
    « Ce jour-là, il fallait la faire monter dans la voiture et l’amener. » Et il songea à son fils, qui se serait interposé, qui ne l’aurait pas laissé faire.
    « C’est ton fils du milieu qui m’a arrêté, ton plus jeune fils, et je vis sous son autorité… Cette maison est une prison, je ne peux plus respirer ici… Je vais partir. » Tout à coup, Zoron prit une décision irrévocable : « Aujourd’hui, je vais remettre cette vieille cabane en état, demain matin, je prendrai Allé et je reviendrai. »
    « Même si le ciel touche la terre, je partirai, je partirai ! » affirma Zoron.
    « Si ce n’est pas d’un commun accord, je l’enlèverai et je l’amènerai ! »
    « Peu importe, que ce soit volontairement ou par la force, je partirai. »
    Sous le regard étonné et déconcerté de sa femme, Zoron, en colère, quitta la maison.
    Derrière la nouvelle maison, il y avait une vieille cabane, l’ancienne maison, avec une porte attachée par du fil de fer. À l’intérieur, des vieux objets étaient entassés : un berceau fatigué, un poêle brûlé, une charrue, une faux, une houe… Il choisit un poêle encore en bon état, deux chaises, et il déplaça le reste derrière la cabane. Il nettoya les murs et les coins, renforça la porte… et il remit la vieille maison en ordre.
    Le soir, lorsque ses fils arrivèrent, leur père avait déjà installé son lit, apporté des couvertures et quelques ustensiles, un sac de farine… Il avait installé une nouvelle maison pour lui-même et, assis devant la porte, il fumait tranquillement. Les fils, inquiets, se demandaient qui avait offensé leur père, se questionnaient entre eux, interrogeaient leur mère, cherchaient à comprendre directement auprès de leur père : « Qui t’a offensé ? » Mais Zoron ne disait qu’une chose :
    « C’est le monde qui a offensé Zoron… Tous ceux qui existent dans ce monde ont insulté Zoron. »
    Zoron était en guerre contre le monde entier, et… « seule Allé, seule Allé dans ce monde », et je partirai.
    Peu importait ce qu’ils disaient ou faisaient, il ne rentrait pas chez lui, et il ne voulait pas non plus aller vivre sous le toit de l’un ou l’autre de ses fils.
    Sa décision de partir était irrévocable.
    4
    Le lendemain, à midi, Zoron se trouvait déjà au village des champs. Il avait fait plusieurs allers-retours devant la maison d’Allé, espérant la rencontrer dans la rue. Il avait marché, était revenu, puis s’était arrêté sous le mûrier dont les branches frôlaient la fenêtre de la maison. Il frappa doucement à la vitre, puis se cacha derrière le tronc du mûrier, attendant une réponse, espérant qu’Allé apparaîtrait à la fenêtre. Si elle se montrait, elle lui ferait un signe de la main et l’appellerait. Il repartit, frappa encore une fois, puis se cacha à nouveau, mais Allé ne se montra toujours pas. Il n’y avait personne dans la rue à part des enfants. C’était le printemps, tout le monde était occupé à ses affaires. Zoron se résigna à entrer dans la cour. Dès qu’il entra, il vit Allé : elle se trouvait près du même abricotier que la dernière fois, le jour où il était venu chercher le vin (ce jour-là, elle ramassait des guirlandes de piments rouges). Maintenant, autour de l’arbre, des légumes avaient été plantés, et Allé était en train de bêcher. Elle était minuscule. Elle était assise sur une petite butte, penchée de côté, épaules et cou inclinés. Il sembla à Zoron qu’elle bêchait distraitement, et qu’elle fredonnait, même s’il n’entendait ni paroles ni son. Mais il lui sembla qu’Allé fredonnait une ancienne chanson du pays, l’une de celles qu’elle chantait le jour où ils avaient apporté le vin. À la voix de Zoron, la vieille femme tourna brusquement la tête, avec une vivacité surprenante pour son âge.

    • « Mon âme, Allé ! »
    • Zoron appuya son bâton contre le tronc de l’abricotier et prit les mains de la vieille dans les siennes.
    • « Que je suis heureux de te voir… Tu es devenue si petite… Comme la petite Allé. »
    • Il fit un signe en direction des montagnes.
    • « Aussi petite que l’Allé d’autrefois. Te souviens-tu ? Comme si c’était aujourd’hui, je te vois devant mes yeux. Tu avais une couronne de fleurs sur la tête, et tu sautais de pierre en pierre, comme un agneau. »
    • Te souviens-tu… de ce jour si mémorable où mon cœur a battu si fort ? »
    • Et, comme lors de leur première rencontre, Zoron regardait au loin, vers les montagnes, les yeux brumeux, tandis que devant lui se tenait la petite vieille, ses yeux mi-clos, presque dissimulés par les souvenirs de leur terre.
    • « Rentrons, frère Zoro. »
    • « Non, pas à la maison, pas la maison, mon âme, » répondit Zoron avec une énergie retrouvée. « Là-bas, au fond du jardin, il y avait un jeune pommier, sous cet arbre. »
    • Ensuite, il demanda une coupe de vin en cuivre, prit son bâton, et alla s’installer sous le pommier. Il posa son chapeau sur ses genoux et regarda vers les montagnes. « Ma cause est juste, et Maratuk me guidera. »
    • « Ma cause est juste, Allé, » dit-il en prenant le vin que la vieille lui tendait, « et Maratuk est avec moi. »
    • Il but le vin et se redressa.
    • « Maintenant, demande-moi pourquoi Zoron est venu. »
    • « Nous sommes des compatriotes, frère Zoro, aller et revenir, c’est la règle du monde. »
    • « C’est tout, Allé… ? Eh bien, » dit Zoron en désignant du doigt l’abricotier, « je vais te dire quelque chose… C’était un jour aussi doux qu’aujourd’hui, et mon cœur s’est emballé pour toi, Allé. »
    • Zoron attendit une réponse, mais la vieille femme le regardait avec étonnement.
    • « Veux-tu du pain, frère Zoro ? »
    • « Non, du vin. »
    • « Ô Maratuk, » murmura Zoron dans son cœur, « toi qui as allumé ce feu, fais en sorte qu’il s’apaise. »
    • « Ce jour-là, » continua Zoron, « ce jour de printemps où le monastère de Maratuk a gravé ton amour dans mon cœur, tu étais aussi petite que ça, » dit-il en indiquant une faible hauteur au-dessus du sol.
    • « Tu comprends ? Ce jour-là, j’ai réalisé qu’Allé, pieds nus et humides de rosée, Allé avec sa couronne de fleurs, était mienne. Allé est à moi et Allé est à moi. Ce jour-là, Maratuk nous a donné l’amour, mais un autre jour, les barbares l’ont pris… Le loup est tombé sur les jeunes, il y a eu destruction, massacre, pillage, et le soleil s’est éteint… Et le soleil s’est éteint, Allé, et nous nous sommes perdus. Mon histoire est-elle vraie, mon âme ? »
    • « Tu parles des massacres, frère Zoro ? »
    • « C’est vrai, mais aussi de l’amour, Allé. »
    • Le vieil homme but encore du vin, alluma une cigarette et attendit une réaction. La vieille femme, penchée de côté, resta silencieuse, ses doigts usés jouant avec l’herbe.
    • « Tu es toujours mon Allé, » murmura Zoron. « Ce jour n’est pas perdu, il existe encore, tout comme ce printemps est encore là, devant mes yeux… Les agneaux et les chevreaux jouent sous Maratuk, et toi… »
    • Rappelant ce jour passé, ce doux printemps, Zoron continua à raconter.
    • « Allé… » murmura-t-il avec nostalgie. « Maratuk a béni notre amour, et depuis ce jour-là, cette douce faute reste dans mon âme. Allé, lève-toi, mets ta ceinture, et allons-y. »
    • « Où ? » demanda la vieille femme, surprise.
    • « Tu demandes où ? Cette histoire, pour qui est-elle, Allé ? Lève-toi, partons ensemble dans notre village. J’ai abandonné ma vie ici, peu importe ce qui me reste, vivons ensemble, selon la volonté de Maratuk. »
    • « Es-tu fou ? » murmura la vieille, portant la main à ses lèvres, en tentant de prendre le verre de vin devant lui.
    • « Non, ce n’est pas le vin… Le vin n’a rien fait ici, ce n’est pas le vin, Allé, c’est ça, » dit Zoron en posant la main sur sa poitrine, « c’est ça, mon âme, c’est ça… Ce conte, pour qui était-il, Allé ? Pourquoi cette douce matinée est-elle apparue si nous ne devions pas poser nos têtes ensemble sur un même oreiller ? »
    • « Si ce n’était pas censé arriver… Si ça n’avait jamais dû se produire, pourquoi cette matinée bleue est-elle née ? Pourquoi est-elle venue si Zoron devait trouver sa petite Allé ce matin-là et la perdre avant la tombée de la nuit, pourquoi cette matinée a-t-elle existé, Allé ? Était-elle venue pour ajouter à la peine de ce monde et repartir ? Était-elle venue pour brûler l’âme de Zoron et repartir, pour lui montrer qu’il existe quelque chose de si doux dans ce monde, puis repartir, Allé ? Était-ce un rêve… Un doux conte… Non, cette matinée existe encore et elle a bien eu lieu. »
    • « Lève-toi, mets ta ceinture, et allons-y, » ordonna Zoron.
    • « Frère Zoro, Dieu est témoin, tu as perdu la tête, » répondit la vieille femme, peinée.
    • « Je t’enlèverai, » déclara Zoron, frappant le sol de son poing.
    • La vieille éclata de rire.
    • « Comment vas-tu m’enlever, frère Zoro ? »
    • « Tu es toute petite, je te mettrai dans un sac et… quitter le village ne sera pas difficile. Puis tout le monde saura qu’Allé est à moi, » répéta Zoron avec conviction.
    • Une voix masculine appela Allé depuis l’extérieur. À l’oreille de Zoron, cela sonna comme un appel téléphonique : « Allô… Allô… »
    • « C’est mon mari, » dit la vieille femme en se levant précipitamment.
    • « Ton mari est un brave homme, mais je t’enlèverai quand même. La nuit est presque là, je t’enlèverai, » murmura-t-il en tirant sur son tablier et en chuchotant : « Ne dis rien, ne fais pas de bruit. »
    • La vieille éclata de rire et s’essuya la bouche avec son tablier.
    • « Allons, frère Zoro, rentrons à la maison. »
    • « Qu’est-ce que j’ai à faire à la maison… Je vais quitter le village, et quand la nuit tombera, je reviendrai ici, et mes yeux seront fixés sur ton chemin. C’est décidé, et Dieu est témoin. »
    • La voix de l’homme appela encore une fois :
    • « Je suis là, » répondit Allé, « frère Zoron est venu. »
    • Zoron tira de nouveau sur le tablier de la vieille, serra les dents et montra son poing.
    • « Je t’enlèverai, Allé, » murmura-t-il, « que tu le veuilles ou non, je t’enlèverai. »
    • « Ahh… c’est toi ? » dit le mari d’Allé en apparaissant. « Bienvenue ! Veux-tu du vin ? » Il éclata de rire.
    • « Je veux bien, frère, » avoua Zoron tristement, « il n’y a pas de vin comme le tien dans ce monde. Tu as le droit de me réprimander et même de me frapper. »
    • Petit à petit, la famille se rassembla : deux fils, deux belles-filles, des petits-enfants. Tous prirent place autour de la table.
    • « C’est une vraie table de famille prospère, » pensa Zoron. « Cela ressemble à une table de mariage… Maratuk en est témoin, c’est le mariage d’Allé et de moi. »
    • La famille était joyeuse, et les fils d’Allé étaient particulièrement enthousiasmés. Ils n’étaient pas là le jour où Zoron était venu chercher le vin. « Un vieil homme curieux du pays natal de notre mère est venu, » avaient-ils entendu dire. « Il a bu je ne sais combien de verres de vin, il a chanté et bu, chanté et bu, et ils ont dû le sortir de la cave. Il est revenu ensuite, mais nous n’avons pas eu la chance de le revoir. »
    • Et aujourd’hui, ce vieil homme intéressant était leur invité. Il avait de grandes moustaches blanches, des rides marquées, parlait fort, buvait joyeusement jusqu’à la dernière goutte de son verre, puis le remplissait aussitôt.
    • « Tu es notre oncle. »
    • Le plus jeune fils était particulièrement enthousiaste.
    • « Nous n’avons pas de proches du côté de notre mère, mais toi, tu es vraiment notre oncle. »
    • « Tu peux me voir comme un étranger ou un oncle, c’est toi qui choisis, » pensa Zoron, « mais cette nuit, je vais enlever ta mère… Je vais l’enlever, c’est sûr. »
    • Le plus jeune fils ressemblait beaucoup à sa mère.
    • « C’est Allé, c’est elle, » pensa Zoron, et demanda :
    • « Qui est ton fiancé, garçon ? »
    • La femme du jeune homme, assise à côté de lui, plut beaucoup à Zoron.
    • « À ta santé. »
    • Il but deux verres de vin d’affilée, puis regarda le garçon avec plus d’attention.
    • Les yeux du jeune homme brillaient joyeusement, et il semblait y avoir une chanson dans ses yeux. Oui, une chanson. Zoron avait souvent remarqué que les jeunes hommes avec ce genre de regard avaient toujours une belle voix.
    • « Sais-tu chanter ? »
    • « Oui, je sais, » répondit le jeune homme avec enthousiasme.
    • « Alors chante pour ton oncle. »
    • Pendant que le garçon chantait, Zoron but encore un peu, mais il se sentit soudain pris de vertige. « Déjà ? pensa-t-il, je n’ai bu que quelques petits verres… Il vaut mieux que je m’arrête là. » Zoron n’était pas venu pour boire et faire la fête… Que le maître de maison boive… Que ses fils boivent… Mais Zoron avait un but… « Où est Allé ? »
    • La vieille femme allait et venait doucement, un léger sourire aux lèvres.
  • Journée de commémoration des Mages : fête en l’honneur de ceux qui transmettent la science et la sagesse.

    Journée de commémoration des Mages : fête en l’honneur de ceux qui transmettent la science et la sagesse.

    Depuis que l’humanité a pris conscience d’elle-même, la quête pour découvrir, comprendre et accumuler des savoirs sur les mystères et les lois de l’univers et de la nature a toujours été essentielle. Cela était naturel, car il était vital pour l’homme de résister et de s’adapter aux différentes conditions imposées par son environnement pour la survie de son espèce.

    Les premiers sages, par leurs observations, études continues, expériences et recherches assidues, développaient leur esprit et cherchaient à découvrir les éléments primordiaux de l’existence sur lesquels repose tout l’univers, à interpréter le sens de la vie et les diverses manifestations de la réalité et des phénomènes.

    Les connaissances accumulées à travers ces efforts laborieux — les premiers fruits des débuts de la science — étaient gardées secrètes par les savants de l’époque : les Mages et les Prêtres. Ces derniers les considéraient comme une sagesse sacrée, transmise de génération en génération comme un trésor inestimable réservé aux érudits élus.

    Les graines de cette sagesse, semées par ces premiers savants, germèrent plus tard, jetant les bases de l’avancement et du développement de la science.

    L’archéologie éclaire le passé, la vie quotidienne des temps anciens et les sciences de l’époque.
    Outre les ruines des monuments d’ingénierie autrefois prestigieux et les constructions marquant de hauts accomplissements architecturaux, les échantillons de métallurgie, les instruments médicaux et les équipements pharmaceutiques découverts témoignent des traditions millénaires des différentes branches de la science.

    Selon les prêtres de l’Ordre Haykien, Harut Arakelyan et Mihr Haykazoun, aujourd’hui, d’après le calendrier haykien, en ce jour de Margar du mois de Tré (20 septembre), c’est le jour de commémoration des Mages, la fête de l’hommage et de la glorification de nos sages Ancêtres et des savants qui leur ont succédé.

    « À travers les siècles, les descendants de la lignée Haykazoun, fils du Soleil, sont restés fidèles aux recommandations de leurs Patriarches, en centralisant les écoles des Mages et en fondant l’actuelle école de Mages « ARAMAGI », participant ainsi à la préservation et à la transmission de la sagesse ancestrale.
    Nous adressons nos félicitations en cette journée de commémoration des Mages, en particulier aux centaines d’étudiants actuels de l’école « ARAMAGI », qui gardent vivante la science de leurs ancêtres », écrit le prêtre Harut Arakelyan dans sa dernière publication, dédiée à la présentation et l’interprétation de la foi nationale arménienne.

    La connaissance constitue la base de l’identité arménienne et de l’exploration de soi, elle fortifie la nation et contribue à la croissance et à la prospérité de la patrie, tandis que la Sagesse est la source de tout bien.

    Nous félicitons tous ceux qui sèment la Sagesse et la Science, en rendant hommage aux Ancêtres arméniens… »

  • Tout revient à son point d’origine pour renaître à nouveau

    Tout revient à son point d’origine pour renaître à nouveau

     

    Avec la sagesse que les années apportent, chaque personne, enrichie et mûrie, est mystérieusement attirée vers ses racines, vers les sources de son peuple… ce monde où son essence et son individualité se sont formées, dans des couches conscientes et inconscientes.
    L’élan vers la découverte de soi est le chemin vers la Lumière.

    Le thème de la conscience nationale a été mis en avant par de nombreux artisans de la culture arménienne à travers le temps.
    «Tout revient à sa source première pour recommencer», écrit Sero Khanzadyan, soulignant que «Chaque homme doit avoir son propre chant»…

    «L’excommunication, l’exil de l’église, les sept années de pénitence et autres punitions n’ont pas réussi à éradiquer les croyances et conceptions païennes millénaires issues de l’antiquité, et elles ont perduré jusqu’à ces dernières décennies, comme l’ont documenté les ethnographes arméniens des 19e et 20e siècles dans plusieurs régions d’Arménie» (L. Khachikian, Travaux, vol. I, Erevan, 2012, p. 19).

    «Depuis les lointains temps poussiéreux, j’aperçois les ruines de notre maison familiale, enfouie au sein de la forteresse de Dzagedzor, aussi ancienne que Babylone.
    Je commence aussi à distinguer la fin embrumée de mon chemin de vie.
    Le passé est devenu légende.
    Leurs souvenirs m’appellent, jour et nuit.
    Je m’empresse d’achever ce travail pour que ceux qui viendront après moi dans notre lignée puissent reconnaître l’esprit de nos héros ancestraux.
    Personne ne doit perdre ses racines !
    La lumière ne surgit pas du néant…»

    De même que «le coursier vole tel un éclair sombre, retournant à ses origines pour se retrouver…» (S. Khanzadyan), la nation, comme si elle se réveillait d’un long sommeil forcé, cherche à retrouver ses origines et à se renforcer par la sagesse des ancêtres haïkiens et de leurs valeurs nationales authentiques.

    «La survie de notre peuple réside uniquement dans la combativité», affirme S. Khanzadyan.
    «Celui qui sait tenir tête au mal vivra», peut-on lire dans son autobiographie Avec et sans mon père (p. 310), où l’auteur tisse le «mythe de sa vie» à partir des «fils de la réalité», dans ce village où «la pierre est plus précieuse que l’hostie du Christ».

    Là-bas, dans la caverne sacrée de Glkhatagh, le feu sacré allumé par le prêtre Ancav brûle jour et nuit. La grande aïeule, chaque soir, trace une croix sur le feu, y dépose un peu d’encens, et le ravive chaque matin.

    «Je veux que vous sachiez que cette forteresse dans laquelle vous habitez était la demeure du patriarche Dzag» (p. 8).
    «Mon père devenait peu à peu une figure mythique pour moi. Certains soirs, il nous réunissait, les jeunes et les vieux de notre clan, autour de la pierre d’Atian, et il chantait… Mon père avait une voix si douce qu’elle apaisait même la dureté des rochers de notre domaine» (p. 32).
    «Sargis Djarrah, le chef de notre clan, était si vaillant, dit-on, qu’il pouvait faire tomber les oiseaux du ciel» (p. 22).
    «Notre lignée, comme ma mère le disait, descendait de Dzag, le petit-fils du patriarche Sisak. De là vient le nom de notre village : Dzagedzor»…

    «Dans notre foyer brûle le feu millénaire de notre maison ancestrale depuis deux mille ans» (p. 231)…

    Entretien avec Sero Khanzadyan ci-dessous…

  • Deviens le porteur de nobles idéaux

    Deviens le porteur de nobles idéaux

    Le précepte « Connais-toi toi-même » des sages de l’Antiquité appelle à l’introspection et résonne encore aujourd’hui, invitant à explorer et développer les couches inexploitées du potentiel intellectuel et physique de l’homme, à pénétrer dans les mystères de la Nature…

    Le mithraïsme, avec sa sagesse ésotérique et ses rituels aux multiples significations, guide ses adeptes vers la révélation de la Vérité, à travers l’auto-perfectionnement, la persévérance, la rigueur méthodique et l’étude des lois naturelles.

    Suivant courageusement son chemin structuré vers la perfection, le Mithraïste rigoureux, en tant que défenseur de la Patrie, soldat invincible et protecteur de la paix, façonne quotidiennement son esprit et son corps, guidé par le principe « Un esprit sain dans un corps sain » et par la « Triple maxime » : « Bonne pensée, Bonne parole et Bonne action ».

    Privilégiant la paix et la clarté de l’esprit, le Mithraïste réfléchi accumule inlassablement ses compétences avec une volonté de fer, devenant un porteur de la Lumière et de la Sagesse pour les autres, enrichissant le monde par son esprit fertile, ses idées précieuses et universelles, et sa vertu à travers des actions nobles.

    Selon l’ancienne sagesse, « Lorsque l’élève est prêt, le maître apparaît »…

    Et les prêtres de la Fraternité Haykienne, Kourm Mihr Haykazoun et Kourm Harout Arakelyan, rappellent certains passages du Livre de la Sagesse Haykienne :
    « La perfection est un processus et non un don inné.
    Si tu refuses de vivre ce processus, la perfection ne viendra jamais. »

    Les nobles défenseurs et gardiens inébranlables de la culture nationale arménienne, les Aryens Haykazoun, continuent aujourd’hui encore à vivre selon le système de valeurs hérité de leurs ancêtres, célébrant fêtes et rituels dans leur véritable sens, selon un calendrier précis, en harmonie avec les cycles de la Nature. Ils attachent également une grande importance à une alimentation particulière et à la méditation, afin de préserver leur corps et leur esprit dans une pureté maximale.

    La fraternité secrète fondée sur de nobles idéaux, le mithraïsme, accompagne ses membres, par un rituel mystérieux qui n’est pleinement révélé qu’aux initiés, vers la Lumière de la Vérité, par la découverte progressive de nouveaux domaines de la Connaissance.

    « Depuis les temps anciens, des moyens efficaces ont été élaborés pour transmettre la connaissance avec sagesse, en utilisant, avec la maîtrise d’un expert, diverses idées secrètes dissimulées derrière des symboles porteurs de sens.

    Le chemin vers la Lumière de la Connaissance ne se révèle pas immédiatement au Mithraïste.
    Il faut d’abord surmonter une série d’épreuves, avec patience et une volonté inébranlable, gravissant les degrés de la connaissance et de la vertu.
    Avec une haute conscience de sa responsabilité, il développe ses qualités morales, trouvant des solutions équilibrées à tout problème avec un esprit serein, même dans les situations difficiles.

    Au cours de sa formation, le Mithraïste progresse par étapes, accédant à des rangs appropriés, chacun porteur de son propre symbolisme et de sa propre signification », écrit Kourm Mihr Haykazoun.

    Les Arméniens transformés par la Conscience Mithraïque, les Aryens, porteurs de l’esprit puissant de Hayk, sont les héritiers légitimes des glorieux rois et prêtres de leurs ancêtres, et maintiennent vivante aujourd’hui encore la flamme éternelle de la Sagesse, transmise à travers les âges.

    « Le mithraïsme, avec sa volonté inébranlable et ses actions déterminées, ennoblit et illumine l’humanité, traçant une voie sans faille et guidant ses adeptes », rappelle Kourm Mihr Haykazoun, en ajoutant :
    « La vertu mithraïque repose sur l’honnêteté, la justice, la droiture et la discipline.
    Ne gaspille pas ton temps sur des sujets insignifiants.
    Sois toujours focalisé sur tes objectifs et prêt à affronter avec sagesse et courage les plus grands défis. »

    « Le temps, éphémère et rapide, qui est donné à chacun au cours de sa courte vie, doit être rempli de sens à travers l’auto-perfectionnement, pour une activité féconde et bénéfique à la société.
    Ainsi, deviens l’incarnation des plus nobles idéaux en perfectionnant tes compétences, en affrontant les épreuves de la vie avec courage, et deviens cette valeur suprême qui est à la base de la vertu mithraïque : être intègre, droit et toujours en quête de la Vérité et de la Lumière », exhorte Kourm Mihr Haykazoun, en saluant les nouveaux membres de la fraternité mithraïque, qui ont choisi en pleine conscience, avec responsabilité et engagement, le chemin lumineux de la Connaissance et de la Connaissance de soi, en perpétuant les rites et traditions issus des profondeurs des millénaires.

    Le novice, avant d’être admis dans la fraternité, est conduit dans la « Chambre de Méditation », où se trouvent seulement quelques objets symboliques.
    Dans la pénombre de la caverne, baignée par la seule lumière d’une bougie, il doit affronter seul sa première épreuve, se tenant au seuil de la transformation.