« Celui qui affronte les plus grandes épreuves avec foi en la réussite est véritablement courageux. »…
L’Arménie, avec ses provinces naturellement délimitées par des chaînes de montagnes et des bassins fluviaux, et tout le Haut-Plateau arménien, par sa géographie et son histoire, a contribué à forger l’identité et le caractère de la nation arménienne. Cependant, la culture arménienne, enracinée dans une vision nationale unique, a souvent été bouleversée par des influences extérieures et des événements politiques.
« La vie spirituelle du peuple arménien a traversé de nombreuses ruptures brutales et des bouleversements inattendus, si bien qu’elle a parfois été complètement interrompue, rompant tout lien avec les époques antérieures.
Les bouleversements politiques dévastateurs brisaient si violemment la chaîne de continuité historique que les générations suivantes se retrouvaient souvent aussi ignorantes et désorientées vis-à-vis du passé récent que nous pouvons l’être aujourd’hui. La fragmentation du pays et les interruptions répétées du cours normal de la vie rendaient presque impossible l’élaboration et la transmission de traditions communes.
Mais chaque fois que les tempêtes politiques s’apaisaient, que les périodes d’épreuves s’atténuaient et que la vie retrouvait une certaine stabilité, l’intérêt pour le passé se réveillait. On se lançait alors dans l’étude des vestiges préservés des époques troublées pour essayer de renouer le lien avec les temps anciens et donner du sens au présent à travers le passé. » (Nikoghayos Adontz)
Dans Sur les Guerres de Procope de Césarée, historien byzantin du VIᵉ siècle, se dévoilent des scènes de batailles sanglantes des temps anciens : des armées innombrables vêtues de cuirasses et de casques de fer, le bruit assourdissant des armes et des pluies de lances, des soldats prenant d’assaut les remparts ennemis, et des jarres d’argile pleines de soufre et de bitume enflammé transformant en brasier les béliers et les assiégeants.
Il évoque également les vérités transmises par les anciens :
« Le courage appartient à celui qui supporte les plus dures épreuves avec l’espoir de triompher. »
« Chercher la mort sous couvert de bravoure est une folie pour ceux qui réfléchissent. »
En plus de ses récits de témoin direct, Procope s’est appuyé sur des sources écrites en grec, en latin et dans d’autres langues. Parmi les ouvrages qu’il cite, L’Histoire des Arméniens revient à plusieurs reprises.
Il mentionne aussi un épisode bien connu que l’on trouve chez Phaustos Buzand (IV, 54). Cet épisode raconte l’histoire du roi perse Chapouh et du roi arménien Arshak II, où le souverain perse est désigné sous le nom de « Pakour ».
« Une guerre non déclarée, qui dura trente-deux ans, opposait les Perses et les Arméniens sous le règne de Pakour, roi des Perses, et d’Arshak Arshakouni, roi des Arméniens. La longueur de ce conflit infligea des pertes considérables aux deux parties, mais les Arméniens en souffrirent particulièrement. La méfiance mutuelle devint si profonde qu’aucune négociation ne pouvait être envisagée.
C’est alors qu’un conflit éclata entre les Perses et un autre groupe de barbares vivant près des Arméniens. Dans un geste de bonne volonté envers les Perses et pour démontrer leur désir de paix, les Arméniens organisèrent une attaque surprise contre le territoire de ces barbares (après avoir informé les Perses à l’avance) et exterminèrent presque tous les hommes de l’ennemi. »
Pakour, ravi des actions entreprises, envoya des émissaires parmi ses grands nobles à Arshak pour lui témoigner sa fidélité et l’inviter à le rejoindre. Lorsqu’Arshak arriva, Pakour l’accueillit chaleureusement, le traitant comme un frère et son égal. Ensemble, ils prêtèrent un serment solennel : les Perses et les Arméniens seraient désormais amis et alliés. Après cela, Pakour laissa Arshak retourner dans son royaume.
Cependant, peu après, certains accusèrent Arshak de préparer une révolte. Pakour crut à ces calomnies et fit aussitôt convoquer Arshak, prétendant vouloir consulter son avis sur diverses affaires.
Arshak, sans hésiter, répondit à l’appel et se rendit chez Pakour, accompagné des meilleurs guerriers arméniens, ainsi que de Vasikios (Vasak Mamikonian, selon le traducteur), son général et conseiller, connu pour sa bravoure et sa sagesse. Pakour accusa ouvertement Arshak et Vasikios de trahir leur serment et de planifier une rébellion. Les deux hommes rejetèrent fermement ces accusations, jurant de leur innocence et affirmant qu’ils n’avaient jamais eu une telle intention.
Pakour, ayant d’abord emprisonné Arshak et Vasak, consulta les mages sur la manière de procéder. Les mages lui expliquèrent qu’il serait injuste de les condamner sans aveux clairs et suggérèrent de les pousser à se trahir eux-mêmes.
Leur plan consistait à couvrir le sol de la tente royale de fumier : une moitié de provenance perse, l’autre arménienne. Pakour suivit leurs instructions. Les mages pratiquèrent ensuite des incantations autour de la tente et proposèrent au roi de s’y promener avec Arshak, en présence des mages comme témoins, tout en l’accusant de briser leur alliance et de causer des malheurs à leurs deux peuples.
Lorsqu’ils marchèrent sur le sol recouvert du fumier perse, Arshak nia toutes les accusations avec force, jurant sa loyauté envers Pakour. Mais en atteignant la partie arménienne, il devint soudain provocateur. Il se mit à menacer Pakour et les Perses, promettant de se venger une fois libre. Puis, de retour sur le fumier perse, il reprenait un ton humble, déclarant être un fidèle serviteur.
Cette alternance continua, et sur le sol arménien, Arshak ne se retint plus, laissant échapper des menaces explicites et des paroles agressives. Après cette étrange scène, les mages déclarèrent Arshak coupable de parjure et de trahison.
Pakour ordonna alors l’exécution de Vasak Mamikonian, dont la peau fut écorchée, remplie de paille, et suspendue à un arbre. Quant à Arshak, en raison de son sang royal, il fut emprisonné dans la forteresse d’Anhouch, lieu destiné aux prisonniers de haute lignée.
« Un jour, un Arménien, proche compagnon d’Arshak exilé en Perse, prit part à une campagne militaire persane contre un peuple barbare. Ses actes de bravoure au combat furent si éclatants qu’il contribua directement à la victoire des Perses. Admiratif, Pakour lui accorda le droit de demander ce qu’il souhaitait, promettant de satisfaire son vœu.
L’Arménien demanda simplement une chose : passer une journée au service d’Arshak. Cette requête embarrassa Pakour, car elle exigeait de briser une ancienne loi. Toutefois, pour honorer sa parole, le roi accepta.
Ainsi, l’Arménien entra dans la forteresse d’Anhouch, embrassa Arshak, et, ensemble, ils pleurèrent leur destin, s’étreignant avec douleur. Après ce moment d’émotion, l’Arménien lava Arshak, l’habilla de vêtements royaux et l’installa sur un trône.
Arshak, reprenant son rôle de roi selon les anciennes traditions, organisa un banquet pour les convives présents.
Durant le repas, les toasts et les conversations réjouirent profondément Arshak, et la soirée, dans l’ivresse et la camaraderie, se prolongea tard dans la nuit. À la fin, Arshak déclara que cette journée était la plus belle de sa vie, car il avait retrouvé son ami le plus cher, mais qu’il ne pouvait plus supporter les douleurs de la vie.
Après ces paroles, il se suicida à l’aide d’un couteau dissimulé pendant le banquet, mettant ainsi fin à son existence. »
(Sur les Guerres, Livre I, Chapitre 5)
Entre les ambitions expansionnistes de Byzance et de la Perse, le peuple arménien s’est battu avec héroïsme pour protéger son indépendance, son identité et sa culture.
Ces siècles de résistance face aux invasions et aux violences ont entraîné de lourdes pertes. Mais, porté par le rêve de restaurer la gloire d’autrefois et de raviver les traditions brisées, l’Arménie n’a jamais cessé de lutter.