Nos ancêtres
(Extrait de l’œuvre d’Avetik Issahakyan, terminée en janvier 1917 à Genève)

Quelques vers profonds de la lyre immortelle d’Isaakyan, où toute l’histoire d’une époque est résumée et transmise aux générations futures.

À travers un choix de mots brillant, il évoque les croyances antiques, l’immensité de la Terre et la richesse de la culture.

Une scène de la période de déclin du royaume d’Urartu (également appelé Biaïna et Nairi dans les inscriptions anciennes) est présentée, où la plume sensible du poète décrit la douleur provoquée par la capture des « sublimes vierges caressées uniquement par les vents purs du ciel », reflétant les teintes de la patrie qui s’étendent des fleuves de Nairi jusqu’à la Mésopotamie, Gamirk, Mosok et Tabal.

« Maîtriser la tempête ou l’aigle des nuages » est une image symbolique faisant allusion à une ancienne croyance selon laquelle, avant la bataille, un rituel consistait à « soumettre » les dieux protecteurs de l’ennemi pour garantir la victoire (comme évoqué dans une note précédente faisant référence à un rituel similaire dans un texte cunéiforme).

La « tempête » désigne Téshub, dieu des éclairs et du tonnerre, figure clé du panthéon de nos ancêtres.

Isaakyan, en 1916, en plaçant la transmission culturelle héritée et la mémoire historique au centre de la survie de la nation, écrit « Nos ancêtres », affirmant que même si l’ennemi conquiert, pille et opprime, la nation survivra grâce à l’esprit indomptable et épris de liberté, inspirée par l’héroïsme de ses anciens…

Chapeaux phrygiens (le chapeau de Mithra), ceintures de fer, peaux de tigre flamboyantes sur les épaules, vases étrusques…

De la haute Massis jusqu’à Kavkav (Taron, Touroubéran…), un voyage en couleurs à travers l’espace et le temps…

Que la sagesse soit avec vous tous…

Nos ancêtres

I
Un messager pressé arriva, couvert de poussière,
Et devant le roi d’Urartu, s’agenouilla humblement.
— Ô fils puissant de Khaldi, maître des fleuves de Nairi,
Le gouverneur de ces terres lointaines,
Là où le soleil se couche, m’a envoyé.
L’orgueilleux Assur a triomphé,
Un ennemi, semblable à une épée étincelante dans la nuit,
S’est enfoncé dans nos flancs, détruisant murs et fortifications,
Pénétrant dans notre terre comme une inondation déchaînée.
Nous ne savons qui ils sont, de quelle lignée viennent-ils,
Quel est leur dieu, quelle est leur langue, d’où viennent-ils ?
Ont-ils dompté la tempête, ou l’aigle des nuages ?
Leurs chevaux volent au-dessus des remparts des forteresses…
Sur le front de Sarduris, des abîmes sombres s’ouvrirent,
Et il donna ses ordres aux rois d’Urartu.
Il forma une cavalerie robuste, rassembla une armée puissante,
Et ils partirent au champ de bataille, prêts à affronter l’ennemi…

II
Gamirk, Mosok et Tabal s’inclinèrent la tête basse,
Apportant tribut et innombrables offrandes aux vainqueurs —
Du blé, du miel et du fer, ainsi que leurs sublimes vierges,
Caressées seulement par les vents purs du ciel.
Ils portaient des flèches à la pointe acérée et des arcs larges,
Capables d’abattre l’aigle du ciel en le perçant au cœur.
Leurs boucliers étaient robustes, leurs épées solidement forgées,
Trempées dans la forge des éclairs célestes.
Ils arboraient des casques phrygiens et des ceintures de fer,
Sur leurs épaules imposantes, des peaux flamboyantes de tigre,
Attrapées à la hâte lors de leurs expéditions,
Et leurs fronts brillaient sous le soleil, comme l’argile dans le four.
Dans les tribus errantes, des enfants aux cheveux dorés,
Aux bras vigoureux, aux yeux éclatants comme des soleils.
Et avec eux, des vieillards sages et vénérables,
Leurs mains robustes tenant des coupes étrusques remplies de vin.
Des jeunes filles, ardentes comme le printemps,
Des poitrines protégées par des armures, abritant l’amour et la nostalgie.
Et des mères pleines de tendresse, portant dans leur sein sacré
La vie qui grandit, comme un dragon dans les profondeurs…

III
Comme la mer déchaînée jaillit de ses abîmes insondables,
Lançant vagues après vagues, cherchant une nouvelle rive,
Ainsi déferlait leur terrible chevauchée,
Cherchant de nouveaux mondes, pour bâtir une nouvelle demeure.
Ils avançaient, et à leur langue sauvage,
Les sangliers se cachaient dans les roseaux des marécages.
Ils avançaient, et sous les sabots de leurs chevaux,
Les obstacles, les montagnes, les tribus, les armées étaient balayés.
Au-dessus d’eux planait, casque de cuivre sur la tête,
Le chef ancestral, le vaillant Gestras, tel un soleil sur un destrier invincible.

IV
Le roi Sarduris arriva, et avec lui les rois de Nairi,
Prêts à affronter l’ennemi, venus des terres lointaines et inconnues.
Des murailles de fer furent érigées, se dressant siècle après siècle,
Et ils croisaient les épées, front contre front, sans relâche.
Une génération descendait dans la tombe, une autre sortait du berceau,
Et ils forgeaient de nouvelles épées, combattant encore et encore.
Front contre front, ils se heurtaient, et les épées brillaient,
Front contre front, ils se heurtaient, et les épées frappaient.
Flèches et épées furent brisées, la cavalerie d’Urartu anéantie,
Et les envahisseurs triomphants percèrent les murs fortifiés.
Les guerriers de Khaldi, vaincus et humiliés, s’enfuirent,
Abandonnant leurs tentes et leurs trésors, leur terre fertile,
Leurs villes aux portes dorées, et leurs femmes aux yeux noirs,
Fuyant jusqu’aux rivages battus par les vagues du Kavkav.

V
Les tribus errantes, bruyantes, les vainqueurs s’arrêtèrent,
Dans la plaine d’Ararat, face aux montagnes de Massis.
Les Gestras accrochèrent leurs boucliers d’acier
Au front éclatant d’Avag-Massa, tel un diamant lumineux.
Ils établirent leur camp, allumèrent leur foyer sacré,
Et la fumée s’éleva et se répandit le long des fleuves de Nairi.
Ils érigèrent un autel pour leur dieu solaire,
Le vaillant Vahagn, dispensateur de victoire et de vin.
Et pour Astghik, la compagne du Vahagn dompteur de dragons,
Déesse de la beauté, du puissant amour et de la vie.
Ils devinrent des chefs courageux, des princes arméniens, victorieux,
Le monde devint Arménie, et le restera,
Jusqu’à ce que le soleil s’éteigne et que ses cendres froides
Recouvrent de neige la patrie de toutes les nations…

Janvier, Genève.

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