Poursuivons avec la question des « Arévordi » évoquée dans la publication précédente, en examinant l’enseignement véritable des Arévordi selon les interprétations des prêtres de la Fraternité Haykienne, gardiens de l’ancienne culture solaire des Haykides.

Dans son étude « La vieille foi ou la religion païenne des Arméniens », Ghevond Alishan nous informe : « Ce qui est plus simple et plus étonnant, c’est que le culte du soleil s’est implanté plus profondément que toute autre croyance parmi nos compatriotes. À diverses époques, des Arévordi sont apparus, peut-être existent-ils encore aujourd’hui, même s’il est difficile de déterminer leur appartenance ethnique. Au milieu du XIe siècle, Grigor Magistros fait référence à eux sous ce nom, les reliant aux mages zoroastriens : « Certains d’entre eux sont devenus adorateurs du soleil, qu’on appelle Arévordi, et ils sont nombreux dans cette région (Mésopotamie), les chrétiens les nomment ouvertement ainsi. » »

« …Dans les écrits d’auteurs plus proches de nous, on trouve également des références aux Arévordi. Encore aujourd’hui, dans les régions de Mésopotamie, il existe des sectaires appelés « chemsi » (signifiant « solaires »), pratiquant une religion mélangeant paganisme, christianisme et islam. L’origine de leur peuple reste inconnue, et ils parlent la langue des locaux. En Arménie proprement dite, dans les régions autour de Kaghzvan, on entend encore les noms des montagnes entre l’Araxe et l’Aratsani, appelées « Arévordi » ou « Ardzvordi », où, même de nos jours, on trouve des Yézidis et des adorateurs du soleil, au moins des Arévordi mentionnés par des géographes tels que Texier (Texier, Asie Mineure, I, 105, 123). »

Au début du XVIIe siècle, au cours de son voyage à travers Mardin, Siméon de Pologne atteste que les « chemsis » de Mardin avaient leur propre lieu de rassemblement (« lieu de prière »), parlaient arménien, et sous la menace de conversion forcée, se sont dispersés : certains se sont dirigés vers la Perse, d’autres vers l’Assyrie, Tokat et Merzifon (Voyage de Siméon de Pologne, page 208, Vienne, 1936).

Dans ses récits d’expédition de 1895, l’archéologue et anthropologue français Ernest Chantre (1843-1924) décrit les particularités de la religion des Yézidis, les influences reçues des croyances d’autres peuples, ainsi que leur rituel d’adoration du soleil le matin, concluant que des éléments zoroastriens se sont inconsciemment maintenus chez eux (page 94). Certains extraits (traduit par moi) confirment les écrits des auteurs médiévaux : « Certains les considèrent comme musulmans, d’autres comme nestoriens ou zoroastriens… Ils vénèrent le soleil en tant qu’image de la justice divine et principe vital pour l’humanité… » « Comme les anciens Arévordi, ils vénèrent le chêne, mais avec une contradiction notable, ils croient ainsi honorer l’arbre dont le bois a servi à fabriquer la croix de Jésus… » « Lorsqu’on demande à un Yézidi quelle est sa religion, il répond qu’il est « isavi », c’est-à-dire qu’il appartient à Jésus, en somme qu’il est chrétien. Et comme ils sont souvent impliqués dans le vol, ils justifient cet acte en affirmant que Jésus leur a permis de voler en souvenir du brigand crucifié à sa droite. »

En évoquant les Arévordi mentionnés par Nersès Chnorhali, qui avaient refusé d’adopter le christianisme et avaient préservé leur foi, Chantre exprime son hésitation face à l’hypothèse d’Eliazarov selon laquelle les Yézidis pourraient être les héritiers de cette secte.

Chantre rappelle l’étymologie du mot « Yézidi » proposée par Portukalian, selon laquelle il dériverait de la ville de Yazd en Perse, où le zoroastrisme subsiste encore.

« Les Arévordi, qui ont perduré jusqu’à nos jours grâce aux descendants des Haykazuni, sont des Arméniens initiés au rite solaire appelée « Arevknunk », porteurs de la doctrine des Haykides », selon l’explication donnée par le prêtre Mihr Haykazuni.

La confusion et l’incertitude des auteurs cités plus haut s’expliquent par le fait qu’après l’avènement du christianisme, les peuples pratiquant des croyances anciennes, avec des éléments de culte de la nature, étaient généralement associés au « culte du soleil ». Les témoignages sur la population mésopotamienne au fil des siècles offrent des éclaircissements sur l’identité des « Arévordi » mentionnés dans les manuscrits médiévaux.

Décrivant la ville fortifiée de Mardin, située sur une haute montagne rocheuse, et ses environs riches en fruits variés, Ghukas Inchichian évoque également ses habitants : « La population de la ville est d’environ 1000 habitants : des Turcs, des Kurdes, des Arabes, des Arméniens, des Assyriens ou Jacobites, des Chaldéens, ainsi que des Chemsis, que l’on nomme en arabe « Arouyayin », signifiant les Solaires, que nos ancêtres appelaient Arévordi » (Gh. Inchichian, Géographie des quatre parties du monde : Asie, Europe, Afrique et Amérique, composée par le Révérend Père Ghukas Inchichian de Constantinople. Publiée au monastère de Saint-Lazare à Venise, en 1806, Partie I, Asie, volume I, page 353). « Les Solaires, que nos ancêtres appelaient Arévordi »…

« Le culte du soleil est la culture de la puissance de la Lumière de la Vie, une quête de Sagesse et de perfection personnelle. Les Arévordi sont les porteurs de cette culture et les propagateurs de cette Lumière, des semeurs de Science, de Sagesse et de Bien. L’Arévordi, dans la perspective des Haykazuni, est un descendant arménien éduqué selon la vision du monde des Haykazuni, et l’héritier des savoirs cultivés par ses ancêtres. Les peuples suivant un calendrier lunaire, naturellement, ne pouvaient être considérés comme des « Arévordi » », explique le prêtre Mihr Haykazuni.

Les prêtres de la Fraternité Haykienne apportent aujourd’hui des connaissances précises sur les traditions ancestrales des Arévordi, le culte du soleil et l’enseignement haykien, dissipant ainsi de nombreuses incertitudes qui ont perduré à travers les siècles.

Voici un extrait d’un entretien avec le prêtre Mihr Haykazuni, comprenant quelques explications succinctes.