L’œuvre remarquable du fondateur de l’ethnographie arménienne, Yervand Lalayan, scientifique émérite, archéologue et ethnologue, intitulée Les coutumes rituelles chez les Arméniens (selon H. Spencer), se penche sur l’origine des rites anciens qui perdurent depuis des époques reculées. L’auteur y analyse les traditions arméniennes en les confrontant aux exemples variés fournis par H. Spencer.
Ci-dessous, des extraits de cet article, paru dans le Journal ethnographique :
« Les rites ou règles rituelles désignent les relations directes entre les personnes, et celles-ci constituent la forme généralisée de gouvernement dans les sociétés primitives. Ils trouvent leur origine bien avant l’établissement des pouvoirs politiques et religieux, et cela est démontré par le fait qu’ils précèdent non seulement le développement social, mais aussi l’évolution humaine. De tels comportements peuvent être observés également chez les animaux supérieurs. »

« Tous les peuples primitifs, chez qui les pouvoirs politiques et religieux sont encore à l’état embryonnaire, et où seule la force de l’excellence individuelle prévaut, sont soumis à de nombreux rites.
Le paysan arménien, lorsqu’il rencontre quelqu’un, estime de son devoir de le saluer, de se lever en présence d’un dignitaire, et lors des banquets, lorsqu’on boit de l’eau-de-vie, il fait des vœux, s’adressant à chaque personne éminente individuellement.
Faustus, en racontant le retour de Manouel en Arménie, déclare : « … Quand Vatché, qui était auparavant le patriarche, le vit, il lui céda l’honneur et l’autorité que lui avait conférés le roi… car il était le plus ancien et le plus honorable du peuple, et Vatché était le second » (Faustus, 5, LÉ, 246).
Il en ressort que l’ordre et les rites avaient plus de poids que l’autorité du roi. Il en découle également que Vassak fut jugé pour avoir négligé le droit de l’aîné. »

« Les rites existaient avant l’apparition des pouvoirs politiques et religieux, et cela est compréhensible, car avant l’apparition de l’autorité, un sentiment de soumission devait exister ; avant l’émergence des lois, l’obéissance à une certaine force devait être établie ; avant l’apparition du pouvoir religieux, des rites étaient accomplis devant la tombe du défunt, en présence de son esprit. »

« Nous remarquons que les rites accomplis près des tombes, qui ont ensuite évolué pour être célébrés dans les temples, étaient initialement des actions visant à satisfaire l’esprit du défunt, représenté tantôt sous une forme primitive, tantôt sous une forme idéalisée et divine. Lorsqu’on constate que les sacrifices, les hommages, les offrandes, les sacrifices sanglants, les mutilations, qui ont vu le jour dans le but de plaire ou d’apaiser l’esprit du défunt, étaient plus prononcés là où cet esprit inspirait plus de crainte, que le jeûne funéraire a donné naissance aux jeûnes religieux, que les éloges et les suppliques adressés au défunt sont devenus des louanges et des prières religieuses, il devient évident que la religion primitive était fondée uniquement sur des rites implorant la miséricorde. »

« De cette manière, lorsqu’un Arménien se rend devant un saint, il ne cherche pas à purifier son intérieur, ni à s’approcher du saint avec un cœur sincère et une foi profonde, mais plutôt à allumer autant de bougies que possible, à embrasser la croix, à sacrifier un animal, à offrir des mouchoirs pour envelopper les reliques ou l’évangile, et à se prosterner à plusieurs reprises. Ils n’hésitent même pas à essayer d’acheter la faveur du saint en promettant un sacrifice ou un cadeau pour obtenir l’exaucement de leur prière, ou à rappeler au saint les offrandes faites, en exigeant un retour, comme illustré dans l’histoire de Hovhannès Mandakouni… »

« Si l’Arménie est remplie de monastères, c’est parce que les rois et princes arméniens croyaient fermement que de telles offrandes divines suffiraient à sauver leurs âmes. »

« Ainsi, les rites sont très anciens, car toutes les formes de pouvoir, bien que désormais distinctes, en portent les marques. Par exemple, offrir des présents est un acte par lequel on exprime la soumission à un chef. Cela constitue également un rite religieux, qui se pratiquait d’abord près des tombes, puis devant l’autel. »

« Il est également observé que les rites ont beaucoup plus d’influence parmi les peuples primitifs et semi-civilisés que toute autre forme de pouvoir.
Ainsi, par exemple, quand un paysan arménien veut exprimer l’idée d’« impossible », il dit : « Ce n’est pas la tradition ».

« Les rites ne sont pas immédiatement apparus comme des symboles de respect et de soumission. Ils ont émergé naturellement, en se modifiant progressivement à partir d’actions individuelles accomplies dans un but personnel. »

« Chez les Arméniens, les premiers pains préparés avec le blé de la nouvelle récolte, appelés « chalaki », sont offerts à l’église, au chef de famille, ainsi qu’aux amis et proches.
Dans le district de Nouveau Bayazet, les premiers poissons pêchés avec un filet neuf sont partagés avec les pauvres, et des cadeaux sont envoyés au prêtre, au chef de famille et aux proches. »

« Tous ces exemples révèlent que l’obéissance religieuse, politique et sociale se manifeste par des comportements similaires. »

En comparant les exemples de l’origine naturelle de l’offrande en tant que « rite de bienveillance » et les traditions encore présentes chez les Arméniens, Y. Lalayan illustre la manière dont s’est formé et développé le rite symbolique de l’offrande, où « l’offrande volontaire devient peu à peu une obligation ».

Portrait d’Ervand Lalayan
(par l’artiste Panos Terlemezian)