L’arrivée solennelle de Tiridate était un spectacle pour le peuple, masquant l’embarras des nobles et du Sénat, mais aussi une lourde charge pour l’Empire. Rome n’avait jamais vu autant de couronnes : après un long voyage, chargé de superstitions et ressemblant à un triomphe, Tiridate et sa femme arrivèrent avec les fils de Vologèse (Vagharsh), Pakoros (Bakur), et Manavaz. Pensant que les actions parlaient plus fort que les mots, Tiridate s’agenouilla devant Néron, sans lui donner son épée ; un tel geste lui semblait trop servile et indigne de la noblesse des Arsacides. Jusqu’à présent, rien ne contrevenait aux convenances, mais bientôt tout devint une simple exhibition.
Néron, qui savait plus s’étonner qu’imiter la dignité d’un barbare, emmena ses hôtes à Naples, à Puteoli, et montra sa grandeur impériale dans une compétition de gladiateurs. L’affranchi Patrobius organisa ces jeux. On peut se faire une idée des dépenses en sachant que, pendant toute une journée, seuls des combattants éthiopiens, des deux sexes, entrèrent dans l’amphithéâtre. Pour honorer le spectacle et montrer son habileté, Tiridate, sans quitter sa place, tira une flèche qui, selon la légende, blessa deux taureaux.
Le spectacle à Rome fut encore plus grandiose lorsque Tiridate y apparut pour réclamer le trône d’Arménie. On avait attendu un jour de beau temps. La veille, toute la ville était illuminée, une foule se pressait dans les rues, les spectateurs étaient entassés sur les balcons des maisons. Le peuple, vêtu de blanc et couronné de lauriers, remplissait la place. Les soldats, faisant briller leurs armes et leurs aigles, formaient une haie. Tôt le matin, Néron, vêtu de ses habits de triomphe, se rendit sur la place avec les sénateurs et la garde prétorienne. Là, il monta sur un trône près de la tribune des orateurs, s’assit sur une chaise d’ivoire, entouré d’aigles et de drapeaux militaires. Alors, Tiridate et les fils des rois, accompagnés de nombreux dignitaires, arrivèrent entourés de troupes de soldats, et rendirent hommage à l’empereur.
Le clameur du peuple, en voyant cette scène si inédite et en se souvenant de ses anciennes victoires, provoqua d’abord la peur chez Tiridate, qui resta muet et ne retrouva pas son courage, même quand le silence fut imposé à tous. Peut-être voulait-il aussi flatter le peuple avec cette fausse timidité pour écarter tout danger et s’assurer un royaume, car il déclara à haute voix que, bien qu’il soit de sang arsacide et frère des rois Vologèse et Pacorus, il était néanmoins le serviteur de Néron, qu’il honorait comme un dieu, et que tous ses droits venaient de sa protection, car ce prince était pour lui la Destinée et la Fortune.
La réponse de Néron fut d’autant plus orgueilleuse que ce discours était humble : « Tu as bien fait, dit-il, de venir ici pour jouir de ma présence. Les droits que ton père n’a pu te transmettre et que tes frères n’auraient pu te conserver, accepte-les seulement de moi. Je te donne l’Arménie. Sache bien, et vous tous souvenez-vous-en, que moi seul peux donner et retirer des royaumes. » Tiridate s’approcha aussitôt des marches du trône, s’agenouilla devant Néron, qui le releva et l’embrassa, et posa sur sa tête la couronne qu’il demandait, au milieu des acclamations bruyantes du peuple, pour lesquelles un ancien préteur traduisait l’humble supplique du roi.
De là, ils partirent pour le théâtre de Pompée. Jamais l’or n’avait paru plus banal et plus dévalorisé. La scène et tous les environs brillaient d’or. Tout était recouvert d’un vaste rideau pourpre, au centre duquel une broderie dorée représentait Néron conduisant un char, entouré d’étoiles dorées. Avant de s’asseoir, Tiridate rendit à nouveau un profond hommage à Néron, puis prit place à sa droite pour observer cette scène où l’or prenait mille formes différentes. À cette opulence éblouissante succéda un banquet encore plus somptueux. Puis ils retournèrent au théâtre, où Néron n’hésita pas à chanter comme un acteur, à jouer de la lyre et à conduire un char, habillé comme un cocher parmi les auriges.
Dans ces scènes honteuses, rendues encore plus lourdes par les mauvais applaudissements du peuple, Tiridate, se rappelant les vertus militaires de Corbulo, ne put contenir sa colère et dit au prince qu’il était bien chanceux d’avoir un prisonnier aussi noble que Corbulo. Néron, pris dans l’ivresse de sa propre joie, ignora cette audace d’un Barbare. Il semblait y avoir une compétition d’effronterie entre le prince et le peuple. Comme si ces ridicules cérémonies avaient conclu la guerre en Arménie, Néron, salué comme empereur, se dirigea vers le Capitole avec sa couronne de laurier, ferma la porte de Janus, et devint encore plus ridicule par cette victoire imaginaire qu’en jouant sur scène.
Ayant sécurisé sa couronne, Tiridate sut tirer profit de la sympathie du peuple et du prince. Depuis longtemps enivré de son bonheur à Rome, il ne cherchait que des merveilles :
Il les trouva dans la cour de Tiridate, qui, comme tous les Orientaux, se vantait de sa profonde connaissance des mystères de l’astrologie. Ce qui rendait sa science crédible, c’était la multitude de mages qui accompagnaient le roi.
Aussitôt, les Romains souhaitèrent consulter leur destin dans le ciel et l’enfer. Le plus amusant était Néron lui-même, car ce genre de secrets séduit particulièrement les tyrans malveillants, qui sont à la fois inquiets pour l’avenir et prodigues dans le présent, comme s’ils pouvaient disposer de cet avenir qu’ils redoutent. Néron était déjà enthousiaste à l’idée de prendre des leçons.
Tiridate, fier d’avoir un tel élève, commença à l’instruire. Le maître du destin de l’empire, au mépris de Rome, se livra aux illusions chaldéennes, s’instruisit dans leurs rites magiques et progressa dans l’art du poison, la principale branche de la magie. Cet apprentissage honteux révéla toute la fausseté et la vanité d’un art que ne pouvait enseigner un maître qui venait de recevoir une nouvelle couronne, et qu’un élève commandant l’univers ne pouvait apprendre.
Néron, malgré sa déception, ne fut pas moins généreux. Les souverains sont d’autant plus prodigues qu’ils se sentent trompés. Tiridate, qui bénéficiait déjà d’une solde quotidienne de quatre-vingt mille pièces d’or, reçut également un cadeau d’un million de drachmes d’argent. Néron lui permit aussi de reconstruire Artachat, qui avait été rasée, comme nous l’avons raconté. Il lui octroya également de nombreux artisans, auxquels Tiridate ajouta beaucoup d’autres qu’il engagea personnellement.
Ainsi, remettre ce roi sur son trône coûta plus cher que de détrôner d’autres rois par le passé.
Ayant été enrichi par ces cadeaux, Tiridate, peu préoccupé par les superstitions de son pays, navigua de Brindisi vers Dyrrachium. Il traversa ensuite les villes de notre Asie, admirant partout les sources de revenus de l’empire et les entreprises insensées de Néron.
Avant que Tiridate ne soit entré en Arménie, Corbulo, allant à sa rencontre, laissa passer les artisans qui lui avaient été envoyés, mais renvoya à Rome ceux qu’il avait lui-même embauchés. Par souci de l’honneur romain, cette jalousie augmenta la renommée de Corbulo et diminua celle du prince. Malgré cela, Tiridate, par gratitude, renomma la ville d’Artachat « Néronea » après l’avoir restaurée.