Catégorie : Histoire

  • HAYKAR OU HATSAR : « LE PIERRE DU PEUPLE ARMÉNIEN DANS LE MONDE ÉTERNEL »

    HAYKAR OU HATSAR : « LE PIERRE DU PEUPLE ARMÉNIEN DANS LE MONDE ÉTERNEL »

    HAYKAR
    OU
    HATSAR : « LE PIERRE DU PEUPLE ARMÉNIEN DANS LE MONDE ÉTERNEL »

    Le Haut-Plateau arménien, célèbre pour ses eaux minérales aux vertus curatives, est également à l’origine de l’histoire de l’extraction et du travail des métaux grâce à ses riches ressources minières.

    Grâce à ses gisements abondants en pierres et en métaux, l’usage d’outils métalliques était déjà répandu dès les Ve et IVe millénaires av. J.-C. Les plus anciens spécimens ont été découverts sur les rives du lac de Van, dans la région d’Angeghtoun, dans la plaine de l’Ararat, ainsi que sur les rives du lac d’Ourmia…

    Au IIIe millénaire av. J.-C., la Mésopotamie arménienne, le Rchtounik, Djoulamerk et Sassoun constituaient des « réserves de métaux » pour les pays de l’Ancien Orient. Plus tard, au IIe millénaire av. J.-C., ces régions occupaient une place de premier plan dans l’extraction et l’échange des métaux.

    Les découvertes archéologiques de Litchachen, Metsamor et Karmir Blur, ainsi que dans les environs du lac de Van, la plaine d’Erzinga et d’autres sites du Haut-Plateau arménien, témoignent d’un haut niveau de développement dans l’artisanat métallurgique.

    De nombreux témoignages à travers les siècles, dans les écrits d’historiens arméniens et étrangers, confirment l’abondance et la qualité des ressources minières d’Arménie. Moïse de Khorène (dans Histoire des Arméniens, I, 23), en louant les Ancêtres et en exaltant le grand Tigrane, mentionne qu’il a accru les « réserves d’or et d’argent » (« Մթերս ոսկւոյ եւ արծաթոյ բազմացոյց »).

    L’écrivain, naturaliste, philosophe et général romain Pline l’Ancien, qui vécut au Ier siècle, mentionne dans son ouvrage Histoire naturelle les pigments et les minéraux utilisés pour leur fabrication, citant notamment les mines d’Arménie (« Hanc Armenia ») et les matériaux de haute qualité qui en étaient extraits.

    Lapis-lazuli, dont l’éclat bleu intense ne s’est jamais terni à travers les millénaires, est mentionné dans les premières sources écrites, y compris l’Épopée de Gilgamesh. Il a traversé l’histoire depuis l’Égypte et la Mésopotamie jusqu’à nous, souvent associé à des propriétés magiques dans les récits qui l’entourent. Rien qu’à Ebla, l’un des grands centres de la culture hourrite, situé à environ 60 kilomètres au sud d’Alep, on a retrouvé 25 kilogrammes de lapis-lazuli. Ce précieux minerai provenait des matières premières acheminées depuis l’Arménie.

    Le lapis-lazuli, cette pierre bleue « légendaire » utilisée depuis 6 000 ans, était considéré comme un gage de santé, de courage, de réussite et de victoire. Il servait également de talisman protecteur contre le mal et était perçu comme un moyen de connexion à la « sagesse céleste », favorisant l’éveil spirituel et le stimulant.

    L’un des plus éminents philosophes de la Grèce antique, Théophraste (371 av. J.-C. – 288 av. J.-C.), disciple talentueux d’Aristote, naturaliste, botaniste et alchimiste, mentionne dans son étude sur les pierres l’existence de minéraux importés d’Arménie, notamment ceux utilisés pour la fabrication de sceaux et d’autres usages. Il évoque également une certaine « terre » transportée depuis la Cilicie qui, une fois bouillie, devient adhésive et, appliquée sur les vignes, les protège des parasites.

    Le célèbre lapis-lazuli était appelé par Théophraste « pierre d’Arménie », « Lapis Armenis », également connu sous le nom d’« Arménium », soit « pierre haïkienne ».

    Au Moyen Âge et à la Renaissance, cette pierre était toujours désignée sous le nom de « pierre d’Arménie » ou encore « bleu des montagnes ».

    En 1824, le géologue et minéralogiste François Sulpice Beudant, s’appuyant sur sa couleur, le nomme « azurite ».

    Dans les études médicales, une autre substance réputée était le Haïkav ou « Kaolin arménien », appelé « terre haïkienne » par Galien.

    Différents auteurs ont parfois confondu les diverses « terres arméniennes », qualifiées tour à tour de bleutées, dorées ou rouge-jaune, qui jouissaient d’une grande renommée depuis l’Antiquité.

    Pline l’Ancien mentionne les gisements d’eau minérale d’Arménie (Livre 33, 15) et souligne que la meilleure « Chrysocolle » – un minerai traversé de veines aurifères – provenait d’Arménie (Livre 34, 5), ce que confirme Ghévond Alishan.

    Dans le Livre 35 de son volumineux traité, Pline évoque l’Arménium (l’azurite). Il écrit (d’après ma traduction) :

    « L’Arménie exporte une substance qui porte son nom. C’est une pierre proche de la chrysocolle, tendant davantage vers le bleu.
    … En médecine, elle est exclusivement utilisée pour le soin du cuir chevelu et, en particulier, des cils (bol d’Arménie). »

    Depuis l’Antiquité, les structures cristallines, formées par diverses combinaisons chimiques et des proportions variées de cuivre, d’oxygène et d’autres éléments, accompagnent l’humanité, fusionnant et donnant naissance à de nouvelles propriétés.

    Le cuivre arsénicé (pouvant être identifié comme la** cuprite arsénicale**), dont la structure cristalline arbore une teinte proche du lapis-lazuli, est une substance aux multiples usages. Bien que hautement toxique, il a été largement utilisé dans divers domaines.

    Outre les amulettes et les bijoux, la pierre arménienne (Haïkar) servait aussi de pigment.
    Parmi les nombreuses poudres et pierres, incolores ou colorées, employées en médecine, pour la fabrication de miroirs et d’autres usages, citons quelques-unes d’après les dictionnaires arméniens anciens…

    Les traités médicaux médiévaux rappellent :

    « Lapis-lazuli : pierre précieuse d’un bleu profond, appartenant à la famille des silicates, dont on extrayait autrefois le pigment azur (Lapis lazulite) » (S. Malkhassian, Dictionnaire explicatif arménien).

    « Hachar : une pierre originaire du pays d’Arménie » (Nouveau dictionnaire de la langue arménienne).

    « Haïkar : une variété de pierre précieuse, d’un bleu profond et tendre, semblable au lapis-lazuli » (Arménite, Pierre d’Arménie).

    « Gojazm : pierre précieuse opaque d’un bleu intense, parcourue de veines dorées. Il en existe aussi une variété jaune » (Ligourion).

    « Lapis-lazuli : pigment bleu de grande qualité extrait du Gojazm ».

  • « Celui qui affronte les plus grandes épreuves avec foi en la réussite est véritablement courageux. »

    « Celui qui affronte les plus grandes épreuves avec foi en la réussite est véritablement courageux. »

    « Celui qui affronte les plus grandes épreuves avec foi en la réussite est véritablement courageux. »…

    L’Arménie, avec ses provinces naturellement délimitées par des chaînes de montagnes et des bassins fluviaux, et tout le Haut-Plateau arménien, par sa géographie et son histoire, a contribué à forger l’identité et le caractère de la nation arménienne. Cependant, la culture arménienne, enracinée dans une vision nationale unique, a souvent été bouleversée par des influences extérieures et des événements politiques.

    « La vie spirituelle du peuple arménien a traversé de nombreuses ruptures brutales et des bouleversements inattendus, si bien qu’elle a parfois été complètement interrompue, rompant tout lien avec les époques antérieures.
    Les bouleversements politiques dévastateurs brisaient si violemment la chaîne de continuité historique que les générations suivantes se retrouvaient souvent aussi ignorantes et désorientées vis-à-vis du passé récent que nous pouvons l’être aujourd’hui. La fragmentation du pays et les interruptions répétées du cours normal de la vie rendaient presque impossible l’élaboration et la transmission de traditions communes.
    Mais chaque fois que les tempêtes politiques s’apaisaient, que les périodes d’épreuves s’atténuaient et que la vie retrouvait une certaine stabilité, l’intérêt pour le passé se réveillait. On se lançait alors dans l’étude des vestiges préservés des époques troublées pour essayer de renouer le lien avec les temps anciens et donner du sens au présent à travers le passé. » (Nikoghayos Adontz)

    Dans Sur les Guerres de Procope de Césarée, historien byzantin du VIᵉ siècle, se dévoilent des scènes de batailles sanglantes des temps anciens : des armées innombrables vêtues de cuirasses et de casques de fer, le bruit assourdissant des armes et des pluies de lances, des soldats prenant d’assaut les remparts ennemis, et des jarres d’argile pleines de soufre et de bitume enflammé transformant en brasier les béliers et les assiégeants.

    Il évoque également les vérités transmises par les anciens :
    « Le courage appartient à celui qui supporte les plus dures épreuves avec l’espoir de triompher. »
    « Chercher la mort sous couvert de bravoure est une folie pour ceux qui réfléchissent. »

    En plus de ses récits de témoin direct, Procope s’est appuyé sur des sources écrites en grec, en latin et dans d’autres langues. Parmi les ouvrages qu’il cite, L’Histoire des Arméniens revient à plusieurs reprises.

    Il mentionne aussi un épisode bien connu que l’on trouve chez Phaustos Buzand (IV, 54). Cet épisode raconte l’histoire du roi perse Chapouh et du roi arménien Arshak II, où le souverain perse est désigné sous le nom de « Pakour ».
    « Une guerre non déclarée, qui dura trente-deux ans, opposait les Perses et les Arméniens sous le règne de Pakour, roi des Perses, et d’Arshak Arshakouni, roi des Arméniens. La longueur de ce conflit infligea des pertes considérables aux deux parties, mais les Arméniens en souffrirent particulièrement. La méfiance mutuelle devint si profonde qu’aucune négociation ne pouvait être envisagée.
    C’est alors qu’un conflit éclata entre les Perses et un autre groupe de barbares vivant près des Arméniens. Dans un geste de bonne volonté envers les Perses et pour démontrer leur désir de paix, les Arméniens organisèrent une attaque surprise contre le territoire de ces barbares (après avoir informé les Perses à l’avance) et exterminèrent presque tous les hommes de l’ennemi. »

    Pakour, ravi des actions entreprises, envoya des émissaires parmi ses grands nobles à Arshak pour lui témoigner sa fidélité et l’inviter à le rejoindre. Lorsqu’Arshak arriva, Pakour l’accueillit chaleureusement, le traitant comme un frère et son égal. Ensemble, ils prêtèrent un serment solennel : les Perses et les Arméniens seraient désormais amis et alliés. Après cela, Pakour laissa Arshak retourner dans son royaume.

    Cependant, peu après, certains accusèrent Arshak de préparer une révolte. Pakour crut à ces calomnies et fit aussitôt convoquer Arshak, prétendant vouloir consulter son avis sur diverses affaires.

    Arshak, sans hésiter, répondit à l’appel et se rendit chez Pakour, accompagné des meilleurs guerriers arméniens, ainsi que de Vasikios (Vasak Mamikonian, selon le traducteur), son général et conseiller, connu pour sa bravoure et sa sagesse. Pakour accusa ouvertement Arshak et Vasikios de trahir leur serment et de planifier une rébellion. Les deux hommes rejetèrent fermement ces accusations, jurant de leur innocence et affirmant qu’ils n’avaient jamais eu une telle intention.

    Pakour, ayant d’abord emprisonné Arshak et Vasak, consulta les mages sur la manière de procéder. Les mages lui expliquèrent qu’il serait injuste de les condamner sans aveux clairs et suggérèrent de les pousser à se trahir eux-mêmes.

    Leur plan consistait à couvrir le sol de la tente royale de fumier : une moitié de provenance perse, l’autre arménienne. Pakour suivit leurs instructions. Les mages pratiquèrent ensuite des incantations autour de la tente et proposèrent au roi de s’y promener avec Arshak, en présence des mages comme témoins, tout en l’accusant de briser leur alliance et de causer des malheurs à leurs deux peuples.

    Lorsqu’ils marchèrent sur le sol recouvert du fumier perse, Arshak nia toutes les accusations avec force, jurant sa loyauté envers Pakour. Mais en atteignant la partie arménienne, il devint soudain provocateur. Il se mit à menacer Pakour et les Perses, promettant de se venger une fois libre. Puis, de retour sur le fumier perse, il reprenait un ton humble, déclarant être un fidèle serviteur.

    Cette alternance continua, et sur le sol arménien, Arshak ne se retint plus, laissant échapper des menaces explicites et des paroles agressives. Après cette étrange scène, les mages déclarèrent Arshak coupable de parjure et de trahison.

    Pakour ordonna alors l’exécution de Vasak Mamikonian, dont la peau fut écorchée, remplie de paille, et suspendue à un arbre. Quant à Arshak, en raison de son sang royal, il fut emprisonné dans la forteresse d’Anhouch, lieu destiné aux prisonniers de haute lignée.

    « Un jour, un Arménien, proche compagnon d’Arshak exilé en Perse, prit part à une campagne militaire persane contre un peuple barbare. Ses actes de bravoure au combat furent si éclatants qu’il contribua directement à la victoire des Perses. Admiratif, Pakour lui accorda le droit de demander ce qu’il souhaitait, promettant de satisfaire son vœu.

    L’Arménien demanda simplement une chose : passer une journée au service d’Arshak. Cette requête embarrassa Pakour, car elle exigeait de briser une ancienne loi. Toutefois, pour honorer sa parole, le roi accepta.

    Ainsi, l’Arménien entra dans la forteresse d’Anhouch, embrassa Arshak, et, ensemble, ils pleurèrent leur destin, s’étreignant avec douleur. Après ce moment d’émotion, l’Arménien lava Arshak, l’habilla de vêtements royaux et l’installa sur un trône.
    Arshak, reprenant son rôle de roi selon les anciennes traditions, organisa un banquet pour les convives présents.

    Durant le repas, les toasts et les conversations réjouirent profondément Arshak, et la soirée, dans l’ivresse et la camaraderie, se prolongea tard dans la nuit. À la fin, Arshak déclara que cette journée était la plus belle de sa vie, car il avait retrouvé son ami le plus cher, mais qu’il ne pouvait plus supporter les douleurs de la vie.

    Après ces paroles, il se suicida à l’aide d’un couteau dissimulé pendant le banquet, mettant ainsi fin à son existence. »
    (Sur les Guerres, Livre I, Chapitre 5)

    Entre les ambitions expansionnistes de Byzance et de la Perse, le peuple arménien s’est battu avec héroïsme pour protéger son indépendance, son identité et sa culture.
    Ces siècles de résistance face aux invasions et aux violences ont entraîné de lourdes pertes. Mais, porté par le rêve de restaurer la gloire d’autrefois et de raviver les traditions brisées, l’Arménie n’a jamais cessé de lutter.

  • Le laurier éternel

    Le laurier éternel

    « Je réitère ma lettre du 6 octobre concernant la question des Volontaires, après quoi j’ai reçu la confirmation officielle que nos aspirations nationales seraient satisfaites après la victoire des Alliés », écrivait Boghos Nubar à son fils Arakel Nubar le 27 octobre 1916.

    Pendant la Première Guerre mondiale, les objectifs de la création de la Légion arménienne, composée de Volontaires arméniens, étaient de participer à la libération de la Cilicie et de rétablir l’indépendance de l’Arménie sur ce territoire historique, en formant le noyau de la future armée arménienne.

    Dans les premiers jours au Caire, environ 600 habitants de Musa Dagh et 300 Arméniens résidant en Égypte s’étaient enrôlés.

    Vers la fin de 1916, ils se rendirent à Monarga, à Chypre, avec des centaines d’autres Volontaires arméniens pour des exercices militaires.

    Au début de 1917, plus de 5 000 jeunes Arméniens vivant aux États-Unis s’étaient inscrits en l’espace de quelques jours. Quelques mois plus tard, ils étaient près de 10 000 volontaires. En raison d’un manque de moyens de transport, de juin à novembre, seulement 1 200 d’entre eux purent traverser l’Atlantique, atteignant la France, principalement à bord de navires marchands dans des conditions très difficiles, avec 70 à 90 personnes par bateau. De Marseille à Port-Saïd, un navire de transport français transportant des Arméniens fut attaqué par un sous-marin allemand, mais grâce à des radeaux, ils furent transférés sur un autre navire. Après un voyage de 16 jours dans des cabines étroites et sales, ils atteignirent enfin l’Égypte, puis Chypre.

    Dans son autobiographie, le légionnaire Hovhannes Karapetian se remémore : « Le 18 septembre, nous sommes descendus dans nos tranchées fortifiées et avons attendu la nuit. À 3h30 du matin, l’assaut a commencé…
    Le fracas terrifiant des rafales de balles retentissait, comme si le ciel et la terre se heurtaient dans l’obscurité de la nuit. Mais pour nous, les légionnaires arméniens, cela ressemblait à une fête de mariage.
    Poussés par un fort désir de vengeance contre les Turcs, chacun de nous était devenu un lion sauvage en quête de proie. Entièrement armés, avec les baïonnettes fixées sur nos fusils, nous ne connaissions pas la peur.
    Notre objectif principal était de régler nos comptes avec l’ennemi pour le génocide arménien et de rendre justice à un maximum de Turcs.
    Tandis que le feu de mitraille de l’ennemi s’abattait sur nous comme une pluie de grêle, nous avancions sans hésitation ni crainte.
    Dans des conditions extrêmement difficiles, souvent suspendus entre la vie et la mort, nous avons fini par atteindre le sommet de la montagne et, par un ultime « blitzkrieg », nous avons capturé les fortifications ennemies, laissant derrière nous un grand nombre de morts et prenant 28 000 prisonniers de guerre.
    Lors de la bataille principale, qui a duré trente heures, nous avons perdu 24 hommes et compté 75 blessés. »

    « Le lendemain matin, nous avons à nouveau gravi la montagne et examiné les tranchées ennemies, qui étaient pleines de cadavres. Ceux qui n’étaient pas encore morts étaient les plus malheureux. Le souvenir du génocide (la perte de nos parents, enfants, sœurs et frères) était encore si présent dans nos esprits, et la soif de vengeance si vive dans le cœur des légionnaires arméniens, que les Turcs blessés n’ont reçu aucune clémence.
    Nous les avons exécutés dans leurs tranchées. Ainsi, la résistance turque féroce fut complètement brisée, et l’ennemi se retira en désordre vers l’intérieur du pays. »

    « Je suis fier d’avoir eu sous mon commandement une unité arménienne. Ils se sont battus brillamment et ont joué un rôle majeur dans la victoire », déclarait le général Allenby à Boghos Nubar le 12 octobre. (Extraits et photos du livre Les légionnaires arméniens de Susan Paul Pattie).

    « L’esprit héroïque de sacrifice manifesté par les braves combattants arméniens durant la guerre mondiale est l’un des épisodes les plus éclatants de l’histoire séculaire de notre nation, » écrit Archag Tchobanian dans son article La couronne impérissable.
    « Un petit peuple, soumis pendant des siècles à des jougs oppressants, décimé par les persécutions et les massacres, divisé en de nombreux fragments éloignés les uns des autres, a pu réveiller en lui le courage valeureux de ses ancêtres, et par les exploits de ses milliers de volontaires, il a obtenu sa part d’honneur dans la grande lutte menée au nom de la Liberté et de la Justice.
    Grâce à l’extraordinaire contribution de ces héros, notre petit peuple a montré, une fois encore, qu’il avait l’âme d’une grande nation. Par ses efforts militaires importants, qu’il a poursuivis avec acharnement jusqu’à la fin de la guerre, il a rendu des services notables aux puissances bien plus grandes en nombre et en force, et ces services ont été reconnus et loués par les plus hauts représentants de ces grandes nations.
    L’exploit des volontaires arméniens à Arara est l’une des plus belles pages de cette épopée arménienne. Dans la victoire décisive que les Alliés ont remportée sur l’armée turque autour de cette colline, désormais historique en Palestine, nos héros ont joué un rôle brillant en accomplissant avec bravoure leur mission, audacieuse et difficile.
    Leurs compagnons survivants ont pleinement le droit de célébrer éternellement, avec fierté et tendresse, la mémoire lumineuse de ces jeunes hommes héroïques tombés au combat, devant laquelle la nation arménienne entière s’incline avec un respect solennel. »

    « Le courage de nos soldats à Arara et sur les autres fronts est une couronne impérissable qui couronne le nom de notre nation d’une gloire inaltérable. Grâce à l’héroïsme de nos vaillants guerriers, notre peuple a participé à la juste cause de la libération de la Syrie, de la Palestine, de la Mésopotamie, de l’Arabie, ainsi que de la Pologne, de la Tchécoslovaquie et de l’Alsace-Lorraine, et cela doit être pour nous une source de fierté noble et éternelle.

    Il est vrai qu’après la fin de la grande guerre, lors de l’heure de la réalisation des revendications de Justice, notre peuple, en raison de diverses circonstances malheureuses, a été abandonné et trahi par ses grands alliés victorieux, et cela jette une ombre noire sur notre couronne de gloire.

    Mais l’histoire n’est pas close. Le jour viendra où ce voile sombre se dissoudra et disparaîtra. Il serait injuste de croire que le sacrifice de nos héros est resté totalement vain pour notre peuple et de penser qu’il ne portera jamais de fruits. »
    (Extrait de l’article La couronne impérissable d’Archag Tchobanian)

    La couronne impérissable d'Archag Tchobanian
  • L’héritage fraternel légué à la nouvelle génération…

    L’héritage fraternel légué à la nouvelle génération…

    Le 27 octobre 1916, une réunion tenue à l’ambassade de France à Londres aboutit à un accord entre les représentants de l’Entente, à savoir Mark Sykes pour la Grande-Bretagne, Georges Picot pour la France, et Boghos Nubar, président de la délégation nationale arménienne. Cet accord entraîna la formation de la « Légion arménienne » en 1916 (1916-1920), une unité de volontaires arméniens intégrée à l’armée française.
    Les soldats arméniens, au nombre de plus de 4500, devaient combattre sous commandement français contre l’Empire ottoman, d’abord sur les fronts de Syrie et de Palestine, puis en Cilicie. En contrepartie, la France promit d’accorder une autonomie aux Arméniens de Cilicie après la victoire des Alliés, sur la base des « garanties solides » offertes à Boghos Nubar.

    La Légion arménienne participa pour la première fois à des opérations militaires le 19 septembre 1918, lors de la bataille des hauteurs d’Arara en Palestine, remportant une brillante victoire.

    « Camarades, vous savez que demain matin est notre jour de mariage, le jour que nous attendons tous.
    Chaque soldat doit être prêt à 4 heures du matin.
    C’est l’heure de la vengeance et de la juste rétribution. Nous mènerons cette guerre sacrée pour la liberté de la patrie.
    C’est notre seul service à notre peuple malheureux, et nous le rendrons heureux au prix de notre sang.

    Je ne sais pas combien de nous tomberont demain sur le champ de bataille, mais je suis sûr que le front fier de l’Arménien ne connaîtra pas l’humiliation. Que notre passé nous pousse en avant et que notre avenir inspire la foi en chacun de nous. »

    Ce discours, prononcé tard dans la nuit du 18 septembre 1918, a été adressé par le capitaine arménien John (Hakob) Shishmanyan, membre de l’armée française, aux volontaires arméniens de la « Légion d’Orient », campés sur les pentes du mont Arara en Palestine, en annonçant l’attaque contre les positions turques et allemandes.

    Le 24 avril 1927, lors de l’inauguration d’un monument dédié aux volontaires arméniens à Jérusalem, Hakob Arevian, ancien légionnaire et représentant de la « Légion américaine et cairote », a évoqué cet événement dans son discours, dont un extrait a été publié dans le livre « Le Volontaire : À l’occasion du 10e anniversaire de la victoire d’Arara », publié en 1928 par l’Union des légionnaires arméniens.

    Monument en hommage aux soldats arméniens tombés lors de la bataille d’Arara à Jérusalem (photo issue des Archives nationales d’Arménie)

    Le soir du 18 septembre 1918, la nouvelle se propagea parmi les légionnaires qu’ils allaient attaquer l’armée ennemie le lendemain matin.
    Tous se préparaient avec enthousiasme, comme s’ils se rendaient à un mariage. Leur joie était immense. Après deux longues années d’entraînement continu, ils allaient enfin prouver leur valeur militaire à l’ennemi.

    Le matin du 19 septembre, l’ordre d’attaque fut donné avec la rapidité de l’éclair.
    Ignorant tous les dangers et même la mort, ils se ruèrent sur les positions ennemies, et en moins d’une heure, ils avaient déjà capturé les positions assignées, ne laissant derrière eux que des cadavres ennemis.
    Malheureusement, tous n’ont pas eu la chance de survivre. Environ une centaine de compagnons sont tombés en héros, et malgré leurs graves blessures, ils ne se laissaient pas abattre. Ils criaient à ceux qui continuaient à avancer, avec une voix chargée de vengeance : « Hakob, ne m’oublie pas ! » ou « Galoust, venge-moi ! »
    Ici, vous voyez le monument dédié aux restes de 23 d’entre eux, qui, dans la joie mais avec la vengeance dans le cœur, ont fermé les yeux pour l’éternité.

    « Respect à leur souvenir impérissable : La bataille a duré près de vingt heures, durant lesquelles l’ennemi a violemment bombardé les positions perdues et tenté de les reprendre par une contre-attaque. Mais le soldat arménien était bien ancré dans ses positions et, avec ses fusils et mitrailleuses, il a repoussé les attaques de l’armée turque « Yıldırım » (« Éclair », C.A.) face aux renforts ennemis. Ils n’ont justifié leur nom que dans la retraite.

    Comme vous pouvez le voir, c’était à la veille de l’armistice que les légionnaires ont reçu leur baptême du feu, mais ils ont néanmoins rempli leurs devoirs militaires. Ils sont restés en poste encore deux ans, durant lesquels ils ont mené bien d’autres combats, et le nombre de leurs morts n’est pas seulement de vingt-trois, mais dépasse cent vingt-trois. Cependant, les derniers ne sont pas enterrés et reposent dans un coin isolé de champs inconnus. Ils ont combattu dans de nombreuses batailles inégales, parfois avec de lourds sacrifices, mais toujours en triomphant. Ce fait n’a pas échappé non plus à leurs commandants français : tous les morts avaient reçu leurs blessures soit au front, soit à la poitrine.

    À chaque fois qu’une mission périlleuse devait être accomplie, les « Hagop » et les « Kaloust » sortaient des rangs et murmuraient à l’oreille de leurs commandants qu’ils n’avaient pas oublié les voix des « Martiros » et des « Jinkirian » qui étaient tombés sur la colline d’Arara et qui avaient dit : « Vengez-moi aussi ». Mais arriva le jour où les « Hagop » et les « Kaloust » tombèrent également héroïquement sur le chemin du grand serment national. Kaloust, ayant perdu son bras gauche, je l’ai embrassé sur le front et voulu lui dire quelques mots de réconfort, mais j’avais tort, car il n’avait nul besoin d’encouragement. Sa réponse fut : « Ce n’est pas mon bras qui me fait mal, tu sais bien que je devais combattre pour plusieurs, et je n’ai pas encore pris ma revanche ».

    Comme vous le voyez, même les derniers tombés n’avaient pas encore vengé leurs frères. Il appartient donc à la nouvelle génération de venger cette mémoire fraternelle, et si l’occasion se présente, d’agir de nouveau sans pitié envers l’ennemi… »

    La photo de Hakob Arevyan, issue du Musée Arménien d’Amérique, publiée dans le livre Les Légionnaires arméniens de Susan Paul Paty

  • Sans eau, aucune graine ne saurait donner vie à la surface de la terre.

    Sans eau, aucune graine ne saurait donner vie à la surface de la terre.

    Sur tout le plateau arménien, de nombreux sanctuaires anciens sont éparpillés, où, depuis des temps très anciens, les Arméniens se réunissaient pour suivre les traditions de leurs ancêtres, célébrant leurs fêtes nationales et rituels avec des festivités spéciales.

    La fête la plus populaire était celle de Vardavar, où, au milieu de la chaleur estivale, des pèlerins affluaient de divers endroits, en groupes, familles ou clans, vers leur lieu de pèlerinage – qu’il s’agisse d’un ancien temple, d’un sommet montagneux, d’un complexe de grottes, d’une rivière, d’une source ou d’un arbre majestueux – pour célébrer l’Eau, ce don de la Nature, la pluie nourricière et rafraîchissante, ainsi que l’amour et ses divinités protectrices : la généreuse Astghik, déesse de la beauté et de l’amour, et Vahagn, le courageux et intrépide protecteur (comme le rapportent les prêtres de la Fraternité de Haik, prêtre Mihr Haykazoun et prêtre Harout Araqelyan).

    Ces sanctuaires situés dans les territoires de l’Arménie occidentale ne subsistent plus. Après le génocide arménien, les pèlerinages autrefois nombreux vers ces lieux sacrés ont pris fin. Cependant, les célébrations de Vardavar et d’autres fêtes ont été immortalisées dans les œuvres des écrivains de différentes époques, dans les mémoires des participants, et elles se poursuivent, légèrement modifiées, sur le petit morceau de terre qui constitue l’Arménie actuelle.

    La fête de Vardavar sur les pentes de Khoustoup en 1919

    Dans la continuité de la fête des « Nouveaux fruits », la Terre qui mûrit ces récoltes et l’Eau vivifiante étaient également glorifiées.
    L’Eau…
    L’Eau qui conditionne la fécondité et la croissance, la Vie et l’existence, sans laquelle il n’y a ni croissance, ni germination, ni développement, ni prospérité…

    «…Retire l’eau, prive toute créature de son humidité, et elle se desséchera immédiatement.
    Or, le dessèchement est synonyme de mort et d’anéantissement.»

    « Sans eau, aucune graine ne peut germer sur terre », écrit Atrpet et continue.

    « Les bardes chantaient l’amour et l’affection d’Astghik, son image et sa beauté, son énergie et sa vitalité, par lesquels les humains, ayant reçu l’esprit et les sentiments, vivaient une vie joyeuse. Grâce à ce sentiment, ils avaient transformé la terre en paradis, s’embrassant et s’enlaçant dans les flammes de l’amour, entrant dans un jardin d’extase pour passer des jours heureux et exaltants.

    Sans l’amour et les émotions généreusement distribués par Astghik, ils considéraient la vie triste et insupportable, et sans les plaisirs qu’elle accordait, tous les paysages naturels seraient devenus sombres et mornes. Tout comme Astghik donnait des yeux vifs et brillants, ils considéraient que c’était aussi son don qui donnait les joues rosées, les mentons d’ivoire, les poitrines délicates, les tailles semblables à des cyprès, les sourcils arqués, les fronts radieux, les cœurs battants et les muscles tremblants. L’autre groupe de chanteurs, avec leurs poètes et danseurs, chantèrent à leur tour le génie d’Anahit, ses inventions, les dons qu’elle a faits à l’humanité, les beaux arts grâce auxquels l’homme avait transformé le désert en paradis, orné les vallées et les versants de montagnes avec mille richesses et fleurs colorées, et même les flancs rocailleux des falaises. »

    L’un chantait les louanges du marteau et de l’enclume, un autre glorifiait la hache et la scie, un autre portait son attention sur la charrette et la calèche, tandis qu’un autre célébrait la charrue et le soc, le mors et le fer à cheval du cheval, l’arc et la flèche, les échelles et la meule, la peinture et la statue, la harpe et la flûte. En résumé, tous les arts et outils que l’homme avait obtenus grâce à la sagesse ingénieuse conférée par Anahit.

    À chaque couplet chanté par les bardes, les danseuses le répétaient, se balançant d’avant en arrière, entrelacées dans un élan d’enthousiasme. Une brise légère effleurait les visages jeunes et rosés, leurs cheveux et leurs poitrines, et sous les rayons éclatants du soleil, leurs yeux brillants, leurs cheveux dorés et leur peau lisse scintillaient.

    L’un chantait les louanges du marteau et de l’enclume, un autre glorifiait la hache et la scie, un autre portait son attention sur la charrette et la calèche, tandis qu’un autre célébrait la charrue et le soc, le mors et le fer à cheval du cheval, l’arc et la flèche, les échelles et la meule, la peinture et la statue, la harpe et la flûte. En résumé, tous les arts et outils que l’homme avait obtenus grâce à la sagesse ingénieuse conférée par Anahit.

    À chaque couplet chanté par les bardes, les danseuses le répétaient, se balançant d’avant en arrière, entrelacées dans un élan d’enthousiasme. Une brise légère effleurait les visages jeunes et rosés, leurs cheveux et leurs poitrines, et sous les rayons éclatants du soleil, leurs yeux brillants, leurs cheveux dorés et leur peau lisse scintillaient.

    « C’est Vardavar ! », criaient-ils en aspergeant sans pitié de l’eau fraîche des pieds à la tête.
    Les chanteurs, les danseurs, les musiciens et la foule, sans bouger de leur place, continuèrent à s’amuser jusqu’à ce que leurs vêtements soient secs sous les rayons du soleil. Les jeunes et les adolescents transportaient sans relâche de l’eau qu’ils versaient sur la tête des pèlerins, qui, affaiblis ou absorbés dans leurs pensées, s’étaient écartés.

    — Aujourd’hui, c’est la fête de Vardavar, un jour pour rire et danser, criaient ceux qui lançaient de l’eau en sautant et en bondissant.
    — C’est la fête de notre protecteur, c’est Vardavar, on doit chanter, danser et rire, pas rester inactifs ou somnolents !
    — Si seulement cette eau tombait du ciel, soupiraient les anciens et les personnes âgées, nous aussi, nous serions pleins de joie.

    Les adolescents trempèrent tellement les pèlerins que pour éviter l’eau, tous finirent par rejoindre le cercle des danseurs et se mirent à chanter et à sauter avec eux.

    La danse se poursuivit jusqu’au coucher du soleil. Bien que les pèlerins fatigués s’assirent sur l’herbe pour dîner, les chants, la musique, les danses et les jeux continuèrent sans relâche.
    Après avoir joué la mélodie du crépuscule, les pèlerins allumèrent de grands feux près de leurs tentes, autour desquels ils chantèrent, jouèrent de la musique et écoutèrent les histoires des bardes jusqu’à minuit, transmettant ainsi les récits de leurs ancêtres à leurs petits-enfants.

    Photographie issue de la page de Kourm Mihr Haikazoun, avec nos remerciements…

  • «Le Volontaire»

    «Le Volontaire»

    «À tous nos héros, tombés pour la patrie arménienne.»…

    « Des milliers de volontaires arméniens, venus de diverses régions du monde, ont participé à la Première Guerre mondiale, combattant bravement sur tous les fronts. Leurs actes de bravoure restent encore inconnus de nombreux individus.

    Le 12 février 1919, lors de la Conférence de la Paix à Paris, un mémorandum commun signé par Avetis Aharonian et Boghos Nubar a été soumis, mettant en avant le rôle de la nation arménienne comme ‘belligérante’. Ce document plaidait pour la reconstitution d’un État arménien indépendant, en délimitant son territoire, incluant les sept vilayets de l’Arménie occidentale (y compris Trébizonde, la seule voie de sortie significative pour la Haute-Arménie vers la mer Noire), ainsi que l’unification de la République d’Arménie et de la Cilicie.

    ‘L’Arménie a gagné son droit à l’indépendance grâce à sa participation active et volontaire sur trois fronts : le Caucase, la Syrie et la France’, stipulait ce mémorandum. »

    « LE VOLONTAIRE » (Avetis Aharonian)

    À tous nos héros tombés pour la patrie arménienne…

    Qu’est-ce qu’un volontaire ?
    Il n’est pas qu’un soldat ; il est bien plus.
    C’est une volonté de fer, les dents serrées face à la malédiction de la vie.
    Il ne naît ni ne meurt.
    Il est éternel, comme la souffrance, et indestructible, comme la flamme sortie des forges brûlantes de la raison.

    Prométhée est le premier volontaire.
    Il a eu pitié de l’humanité misérable, errant dans l’obscurité et le froid, et a bravé la colère des dieux cruels pour voler le feu céleste et bénir l’âme du monde avec lumière et chaleur.
    Puis, cloué au rocher par la fureur des dieux, il a laissé les aigles déchirer son foie, sans un seul soupir.
    Le volontaire ne connaît pas la plainte, car sa volonté est une lutte sans fin pour l’auto-destruction, infinie et invulnérable.

    Ne blessez pas la terre-mère par la violence.
    Malheur à vous si sa douleur, mêlée à sa sueur, s’élève des abîmes pour troubler les rayons justes du soleil !
    Pourquoi cet agriculteur, pensif et sérieux, s’est-il arrêté ?
    Il scrute les vastes champs au loin, et le vent fouette son front sévère.
    Le chant du labour s’est tu ; les bœufs soufflent dans le sillon.
    Pour qui laboure-t-il ?
    Pourquoi ce jeune berger blond, penché sur le sentier, s’est-il soudain redressé ?
    Il oublie son troupeau, et son regard rêveur scrute les brumes sur les pentes des montagnes.
    Il écoute attentivement. Qui attend-il ?
    Hier, trois agneaux ont disparu de son troupeau.
    Il entend le mugissement de sa vache.
    Un voyageur solitaire passe par des vallées sombres et tristes.
    Son âme, ouverte aux vents comme une fleur à l’aube, murmure doucement à son cheval :
    ‘Doucement, mon âme, ralentis tes pas, la vallée est traîtresse.’

    Dans le silence docile des foules inclinées, une cloche mystérieuse sonne toujours avec une cadence puissante et régulière.
    Le voyageur, le berger, l’agriculteur et même le soleil tendent l’oreille.
    Ne profanez pas la terre-mère par la violence.
    Malheur à vous, dans ses entrailles, la douleur de la maternité se tord.
    C’est l’alarme d’un ouragan.
    Les âmes ont bu du feu. »

    Dans le silence, une cloche résonne et, sous le toit d’une cabane lointaine, la baratte va et vient. La vieille mère gémit doucement.
    Elle a fait un rêve la nuit dernière.
    Qui menace son enfant bien-aimé ?
    Ses larmes tombent sur la baratte, goutte après goutte.
    Un aigle plane au-dessus du laboureur.
    Le berger lève le poing vers le ciel.
    Le voyageur solitaire inspecte la vallée, cette vallée trompeuse.
    Pleure, mère, ah ! tes larmes sont versées pour le monde entier.
    Les agneaux ont été emportés, et dans les champs, la vache sans veau pousse des mugissements.
    La baratte va et vient, et dans la cabane lointaine, une mère pleure.
    Elle a fait un mauvais rêve la nuit dernière.

    L’armée des conquérants, masse humaine grise, dressée sous le fouet de la loi implacable, est la malédiction de l’histoire.
    Le volontaire est la conscience des nations.
    Il déploie un voile de feu sacré sur la violence du champ de bataille, l’amour des champs blessés, et l’esprit des montagnes natales.
    Face à l’oppression, il brandit son épée nue, tel un ange, et extorque le secret de la mort pour le lancer dans le tumulte des siècles.
    Il est le seul maître de la forge de la liberté, et son œuvre est unique : briser les chaînes sous les coups victorieux de son marteau, toutes les chaînes.
    Il forge la vie de mille générations en brûlant la sienne dans le feu cosmique.
    Le volontaire est la conscience des nations !

    La seule guerre juste est celle qui est menée pour la liberté de la patrie et de l’humanité.
    Tous les grands bouleversements des nations sont l’œuvre des volontaires.
    Toutes les légendes grandioses qui animent les idéaux de l’humanité sont l’œuvre des volontaires. Comme les torrents printaniers qui ravagent les montagnes, ils tracent des sillons profonds dans les pages de l’histoire.

    Garibaldi et sa troupe sont un chant éternel, une rafale qui résonnera à travers les âges chaque fois que l’oppression et le mal s’abattront sur le monde.
    Prométhée a arraché le feu du ciel… »

    C’était il y a environ quarante ans que je l’ai vu pour la première fois, le premier volontaire arménien — c’était un jeune homme brun, solidement bâti, avec des sourcils noirs comme un nuage sombre et des yeux ardents comme du charbon.
    Il est venu, a ouvert ma porte, a dit « bonjour », a pris un repos d’une nuit, tel un oiseau cherchant un nid, puis à l’aube, sans un mot, il s’en est allé vers les montagnes sombres de Bardogh.
    Les volontaires n’aiment pas parler.
    Ils sont toujours silencieux, comme la pâle Némésis.
    Il est parti et n’est jamais revenu.
    Ils ne reviennent jamais, les volontaires.
    Et s’ils reviennent, c’est pour repartir encore, jusqu’à… jusqu’à ce qu’ils tombent sous une pierre…
    Et il est parti, ce jeune brun.
    C’était Goloshean…
    Il est tombé dans la gorge de Chukhur.

    Ensuite ?
    … Ensuite, la conscience douloureuse du peuple souffrant s’est épaissie et a éclaté comme une tempête.
    Une cloche mystérieuse sonnait d’une manière terrible et fascinante, résonnant au-dessus du despotisme qui régnait au-delà des montagnes.
    Et depuis trente ans, au-delà et en deçà des frontières, notre terre blessée et en sueur a jailli de ses entrailles justes des géants, des jeunes hommes robustes et courageux qui ont marché l’un après l’autre sur le dragon niché dans nos montagnes.
    La douleur de nos mères a agité l’âme de leurs fils.
    Le berceau en pleurs est le chant de guerre le plus puissant.
    Les sanglots que l’on entend sur le lange, causés par la main de l’oppression, forgent l’armure du volontaire.
    Des milliers sont partis à la suite des géants, partis et ne sont jamais revenus.
    Sous quelle pierre, dans quelle vallée rêvent-ils du pays natal ? »

    Et le courage accumulé pendant trente ans d’insurrection éclata comme un dragon dans les vallées de Gharakilisa, sur les plaines de Sardarabad et dans les batailles d’Arara, s’élevant avec un rugissement.
    « Tu ne passeras pas. Ici, notre esprit est un rempart de granit ! »
    Quelle attaque, quelle bravoure… À Gharakilisa, quatre mille héros ont anéanti l’arrogance des hordes turques par leur mort.
    Et à Sardarabad, là où les vagues de l’Araxe observaient des milliers d’années, le volontaire arménien fit plier l’antique ennemi.
    Et à Arara, une poignée d’Arméniens courageux surprit les nations étrangères et ingrates par leur dévouement.
    Gharakilisa, Sardarabad et Arara resteront à jamais des monuments indestructibles, où le peuple arménien blessé et méprisé a de nouveau laissé son empreinte indélébile dans le grand livre de l’histoire universelle, celle de ses vertus militaires anciennes.

    La vieille mère est morte depuis longtemps. Elle ne rêve plus.
    La baratte vide va et vient sous le souffle du vent.
    La jeune épouse, en proie à une rage et à une douleur insensées, a abandonné sa voile aux vents, essuyé ses larmes, et a étendu son âme sur son ventre fertile, où son enfant frémit.

    La forêt de chênes majestueux a été abattue par la tempête dévastatrice, mais les pousses s’élèvent à nouveau vers le soleil.
    Et à travers toute la terre arménienne, dans chaque montagne, chaque vallée, chaque cabane, qu’elle soit en ruines ou habitée, vit la légende puissante, l’histoire infinie de ceux qui sont partis et de ceux qui arrivent…

    Qui pourrait jamais nous arracher notre légende dorée — notre patrie libre ? »

  • Le monde est comme une mer où les Hommes sont ballottés (à propos de la « Fraternité des Braves ») – PARTIE B

    Le monde est comme une mer où les Hommes sont ballottés (à propos de la « Fraternité des Braves ») – PARTIE B

    Pendant des siècles, en raison des attaques répétées d’envahisseurs étrangers, les Arméniens ont été contraints de quitter leurs terres natales et de s’installer dans des contrées étrangères, perdant rapidement leur langue et leur culture. Aux 13e et 14e siècles, les invasions mongoles ont à leur tour poussé de larges segments de la nation arménienne à s’exiler, augmentant ainsi les communautés qui s’étaient établies en Crimée et ailleurs après la chute d’Ani au milieu du 11e siècle. En quête de meilleures conditions de vie, de nombreux Arméniens ont continué de quitter la Crimée et les Balkans pour se diriger vers Kiev, la Moldavie, la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie, et la France. À partir de 1475, à cause de la situation instable en Crimée, les Arméniens locaux ont dû abandonner leurs colonies prospères et se déplacer en masse vers Lviv, Kamianets-Podilsky, Yazlovets, Rashkov, et d’autres lieux, réduisant et fragmentant ainsi la communauté arménienne de Crimée.

    L’historien arménien Vardan Grigoryan (1929-2019) note dans son article intitulé «La charte de la Fraternité Krichvorats de la colonie arménienne de Yazlovets» : «En 1895, l’archevêque arménien de Pologne, Sahak Sahakian (Isak Isakovich), fit don d’une collection précieuse de dizaines de volumes manuscrits arméniens à la bibliothèque des Mkhitaristes de Vienne. Parmi ces manuscrits, un petit livre relié en cuir fut enregistré sous le numéro 453. Il s’agissait de la charte de la Fraternité Krichvorats, une organisation de jeunesse arménienne de la ville ukrainienne de Yazlovets, rédigée en 1646. Cette même année, une description détaillée du manuscrit a été publiée dans le catalogue de H. Tashyan, avec une version abrégée de l’introduction de la charte et de la certification placée à la fin du document.» Ce fut la première référence à l’existence d’une organisation de jeunesse arménienne à Yazlovets.

    «Ces ‘fraternités’ étaient des organisations locales uniques, destinées à unir la jeunesse arménienne sur la base de l’entraide et du soutien mutuel, en favorisant leur éducation spirituelle et laïque. De telles organisations existaient en Arménie depuis longtemps et, avec d’autres coutumes et traditions nationales, elles avaient été introduites dans les centres de la diaspora par les émigrés arméniens.»

    Les Arméniens installés à Yazlovets étaient actifs dans le commerce et l’artisanat. Pour inciter les Arméniens à s’établir dans la ville, les dirigeants de Yazlovets leur ont octroyé de nombreux privilèges. Ils ont eu le droit de se gouverner selon leurs propres lois et ont fondé leur propre administration municipale. À Yazlovets, ils avaient des écoles, des églises et une cour de justice. Les artisans arméniens étaient organisés en guildes, et, en dehors de celles-ci, il existait des fraternités, dont l’une était la Fraternité Krichvorats mentionnée ici.

    «… Apparemment, les Arméniens qui avaient migré de Caffa vers Yazlovets ont également conservé ou rétabli leurs organisations d’artisans et leurs fraternités religieuses dans cette nouvelle localité. Ainsi, les Arméniens ayant émigré vers la Crimée, puis dispersés de là en Podolie et ailleurs sous la pression d’événements historiques, ont emporté avec eux, en plus d’autres traditions nationales, leurs organisations, qui étaient très utiles pour surmonter les difficultés quotidiennes, mais qui ont naturellement dû s’ajuster aux nouvelles circonstances.»

    La charte de la Fraternité Krichvorats de Yazlovets, publiée pour la première fois, est une ressource précieuse pour comprendre non seulement cette organisation unique et sa structure, mais aussi les organes dirigeants et les personnalités importantes de toute la colonie. À l’instar de Lviv, l’organisation de jeunesse de Yazlovets était sous la supervision du conseil des anciens de la colonie. Les dirigeants de la colonie ainsi que des figures religieuses ont participé à la rédaction et à la validation des règles.

    «La charte de la Fraternité Krichvorats de Yazlovets se compose de 32 articles, qui détaillent les droits et les obligations des jeunes hommes membres de l’organisation. Seuls les jeunes hommes célibataires pouvaient rejoindre la fraternité, et après leur mariage, ils pouvaient continuer à y appartenir pendant un an, après quoi leur départ dépendait de leur propre choix. Contrairement aux guildes professionnelles, cette fraternité n’était pas associée à un métier particulier, ce qui la différencie des autres associations artisanales. La fraternité disposait d’un fonds spécial, alimenté par les cotisations régulières des membres ainsi que par les amendes infligées pour infractions. Ce fonds servait principalement à aider les membres les plus démunis. Les questions liées à la gestion de ce fonds étaient tranchées lors des assemblées générales.

    Selon l’article 3 de la charte, les membres de la fraternité élisaient chaque année quatre ‘députés’. Le texte ne fournit pas de détails sur leurs fonctions, mais il semble que parmi eux étaient sélectionnés des ‘chefs’, appelés ‘starshina’, qui prenaient la tête de certains groupes de l’organisation. La direction générale de la fraternité était probablement confiée au ‘voit’, qui, d’après l’article 19, avait l’autorité de mobiliser les membres pour des actions, de punir les insoumis par l’emprisonnement (article 28) ou de les expulser de la fraternité (article 27).

    Comme la Fraternité d’Erzincan, celle de Yazlovets avait une organisation à caractère militaire. Les membres devaient être extrêmement disciplinés et obéir sans réserve à leurs chefs. Ils n’avaient pas le droit de manquer les réunions et les assemblées sans une excuse valable.»

    À l’image des héros d’Erzincan, les jeunes Arméniens de Yazlovets appréciaient passer du temps dans des banquets, d’où la clarification détaillée de cette question dans leur règlement. De nombreuses règles y figurent sur l’organisation et la convivialité des fêtes et des mariages. Il est intéressant de noter qu’une des règles stipule qu’il est interdit d’interrompre les conversations ou de s’asseoir à table avec une épée ou un pistolet pendant une fête.
    On en déduit que, tout comme leurs ancêtres de Van et d’Erzincan, il était habituel pour les braves de Yazlovets de porter des armes, d’où l’établissement de cette règle.

    Les héros arméniens prenaient part à la défense de leurs villes en temps de guerre, et il ne fait aucun doute que ces jeunes hommes de Yazlovets, armés d’épées et d’armes à feu, ainsi que les guerriers de Kamenets, ont participé aux nombreuses batailles défensives que les citoyens ukrainiens ont dû livrer contre les incursions turques et tatares.
    On sait que le roi polonais Jean Sobieski, dans son décret du 6 juin 1685, accordant des privilèges aux artisans arméniens, a mentionné la bravoure et les actes héroïques des Arméniens dans la défense de Kamenets, Yazlovets, Lviv et d’autres forteresses frontalières. »

    « Les ‘fraternités’ arméniennes en Ukraine de l’Ouest possédaient des caisses où elles conservaient leurs documents importants et leurs ressources financières…

    Les sources anciennes indiquent que les braves d’Erzincan ont, au fil du temps, progressivement mis de côté l’église et les questions religieuses, préférant se livrer à la fête et au divertissement…

    Comment alors se fait-il que ces braves arméniens, qui s’étaient considérablement détachés de l’église et de la vie religieuse dans leur pays natal, aient à nouveau trouvé un centre de gravité autour des églises à l’étranger ? À Erzincan, comme nous l’avons mentionné plus tôt, l’un des buts de la ‘fraternité’ était également de combattre la tyrannie. Les braves s’entraidaient, ‘si l’un des frères était exposé aux épreuves humaines ou opprimé par des tyrans’. C’est pourquoi cette ‘fraternité’ pouvait aussi ressembler à une organisation militaire : d’après son règlement, elle était divisée en groupes de dix, chacun dirigé par un chef, et quatre de ces groupes formaient une unité plus large avec un commandant en chef. Cependant, en Ukraine, l’accent était principalement mis sur le soutien à l’église.
    Quelle en est la raison ? Nous pensons que cette transformation dans la nature des organisations arméniennes de ‘braves’ est liée aux circonstances locales… » (Extraits de l’article de V. R. Grigoryan ‘À propos des fraternités des braves arméniens dans les colonies de l’Ukraine de l’Ouest’).

    Des inscriptions arméniennes qui ont survécu jusqu’à aujourd’hui à Yazlovets. (photo : Samvel Azizian)

    La suite dans l’article ci-dessous

  • Le monde est comme une mer où les Hommes sont ballottés (à propos de la « Fraternité des Braves ») – PARTIE A

    Le monde est comme une mer où les Hommes sont ballottés (à propos de la « Fraternité des Braves ») – PARTIE A

    Au cours des millénaires d’histoire de l’Arménie, les tempêtes politiques et économiques ont contraint une grande partie du peuple arménien à quitter sa patrie et à s’établir dans divers pays.

    Dans ces nouvelles terres d’exil, les Arméniens dispersés, afin de ne pas perdre leur identité nationale, ont cherché à préserver autant que possible les traditions de leur patrie au sein de leurs communautés locales.

    Bien qu’éloignés du « tronc ancestral » et dispersés sur des rives étrangères, ces « fragments détachés » ont organisé leur vie communautaire pour affronter les conséquences de l’exil.

    Parmi les nombreuses unions formées, se trouvaient les anciennes « Fraternités des braves », fondées selon les principes de la « Fraternité mithriaque ». Différents documents relatifs à leurs activités ont survécu à travers les siècles, bien sûr, adaptés à la foi chrétienne sous l’influence du temps.

    En suivant l’exemple des « Fraternités des braves » qui existaient à Ani, Karin, Van, Erzincan et ailleurs, des Arméniens arrivés en Roumanie, Moldavie, Ukraine, Pologne et Hongrie créèrent à leur tour de telles organisations.

    Le « Code et Règlement » rédigé par Hovhannès d’Erzincan en 1280 pour la « Confrérie des Frères » fondée à Erzincan, est conservé dans les manuscrits 2329 et 652 du Matenadaran de Erevan, et fut analysé et publié en 1951 par l’historien L. Khachikyan.

    Ces jeunes gens, regroupés sur des principes d’entraide et de soutien, étaient dirigés par un « Manktavag » (du terme « mankti » qui signifie « jeune homme, adolescent, soldat » et « avag » qui désigne un « chef »). Ce mot apparaît aussi dans des documents des archives d’État ukrainiennes, attestant de l’activité des « Fraternités des braves » dans cette région également.

    D’après les statuts des « Fraternités des braves » dans les villes de Kamianets-Podilsky et Yazlovets au XVIe et XVIIe siècles, ces jeunes hommes célibataires organisaient la vie publique et sociale, tout en maintenant de bonnes relations avec les peuples voisins, et, si nécessaire, défendaient leur ville par les armes.

    « En dehors de Kamianets, il y avait également des « Fraternités des braves » dans plusieurs autres villes ukrainiennes où des communautés arméniennes étaient présentes. À Lviv, une chronique religieuse rédigée en arménien nous informe que le 10 novembre 1690, l’archevêque Vardan des Arméniens de Pologne a officiellement reconnu par décret la « Fraternité des vaillants » de Stanislav, fondée par l’archevêque tristement célèbre Nikolas Torosovich », rapporte V. R. Grigoryan.

    « Le monde est comme une mer, et les hommes y sont ballottés, exposés à tous les dangers, — est-il écrit dans l’un des règlements d’Erzincan, — et si l’un des “frères” tombe dans le malheur, c’est le devoir des autres de lui venir en aide, aussi bien matériellement que moralement. » Cette idée est répétée sous des termes différents dans les autres règlements. (« Si l’un tombe dans la faiblesse et la douleur d’une maladie corporelle, — lit-on dans les règlements d’Erzincan, — chaque jour, les membres de la fraternité doivent lui rendre visite, le réconforter et lui apporter médicaments et soins médicaux. »)

    « Le frère aîné doit conseiller avec douceur, et le cadet doit écouter avec obéissance », — est-il écrit dans les règlements d’Erzincan. Une idée similaire est répétée dans les règlements de Yazlovets, bien que formulée autrement… Évidemment, ces règlements créés à des époques et dans des pays différents présentent des variations par rapport à ceux d’Erzincan, étant sensiblement adaptés aux conditions locales. »

    « Le code de la « Fraternité des braves » de la colonie arménienne de Yazlovets, publié pour la première fois, est une source inestimable, non seulement sur cette organisation remarquable et sa structure, mais aussi sur les organes de direction de l’ensemble de la colonie ainsi que sur les personnalités qui y ont joué un rôle.

    À Yazlovets, tout comme à Lviv, l’organisation des jeunes était placée sous l’autorité du conseil des anciens de la colonie. Les dirigeants de la colonie et les responsables religieux ont participé à la rédaction et à la validation de ses statuts. »

    (V. R. Grigoryan, « Le code de la “Fraternité des braves” de la colonie arménienne de Yazlovets »)

    Le code de la “Fraternité des braves” de la colonie arménienne de Yazlovets
    Le code de la “Fraternité des braves” de la colonie arménienne de Yazlovets

    La suite dans l’article ci-dessous

  • Le monde est comme une mer où les Hommes sont ballottés (à propos de la « Fraternité des Braves ») – Partie C

    Le monde est comme une mer où les Hommes sont ballottés (à propos de la « Fraternité des Braves ») – Partie C

    La jeunesse est cette « force vive » qui contribue au progrès de la nation en façonnant l’avenir. Les Haykazoun ont toujours valorisé l’expérience accumulée des ancêtres, la transmission de la mémoire nationale aux générations futures, et les interactions intergénérationnelles.
    Mithraïsme a un chemin bien défini dans l’éducation nécessaire pour former la conscience nationale des individus, leur perfectionnement personnel, ainsi que pour leur permettre de faire face aux obstacles inévitables de la vie. Ce chemin guide les jeunes dès leur adolescence.
    Les « Fraternités des Braves », formées selon le principe de la fraternité mithraïque, jouaient un rôle important dans la vie des jeunes Arméniens au Moyen Âge et au-delà, bien que leur caractère, rappelant une structure militaire, ait changé dans certains endroits sous l’influence de l’Église, en mettant l’accent sur le christianisme plutôt que sur le nationalisme.
    L’historien arménien Vardan Grigorian, dans son étude consacrée au « Règlement de la Fraternité des Braves de la colonie arménienne de Yazlovets », écrit :
    « Comme on le voit, à Yazlovets, il existait un Conseil des « Quarante Frères » dirigé par les « maréchaux » et les « voïvodes ». Les membres énumérés de ce conseil étaient des « pans » et des « seigneurs », c’est-à-dire qu’ils appartenaient à la classe aisée de la colonie, et par conséquent, la direction de la colonie, ainsi que de la fraternité, était entre les mains des riches, qui, naturellement, utilisaient l’autorité et les ressources du conseil et de la fraternité à leur propre avantage.
    Au début du règlement, le prêtre Hakob est présenté comme secrétaire des tribunaux spirituels et séculiers. Que la colonie arménienne de Yazlovets avait son propre tribunal séculier était connu depuis longtemps, grâce aux archives des tribunaux de 1669-1670 et 1672, découvertes et publiées partiellement par S. Barontch, mais l’existence d’un tribunal spirituel arménien dans cette ville nous était inconnue, et la seule source en est l’introduction de ce règlement. »

    Les documents préservés des fraternités d’Erzinga, Ani, Van, Sultaniya et Kafa montrent que leurs dirigeants étaient appelés « manktavags ». C’était également le titre des chefs de la fraternité à Kamenets-Podolski.
    À Botoșani, Iași et Roman, ils étaient nommés « vatags », mais après 1790, lorsque le règlement a été à nouveau approuvé et largement révisé, le terme arménien « patanekapet » (chef des jeunes) a remplacé celui de « vatag ».
    À Gherla, ils étaient appelés « préfets », et à Rașcov, « staresdas ». À Yazlovets, comme l’indique le règlement, les « starschyns » (anciens) dirigeaient la fraternité.
    En plus de cela, il y avait également de nombreux autres responsables ayant des fonctions diverses.

    On sait également que les braves d’Erzinga ont progressivement mis l’Église et les questions religieuses au second plan. Là-bas, l’un des objectifs de la fraternité était aussi de lutter contre la tyrannie, tandis qu’à Yazlovets, l’accent principal était mis sur le soutien à l’Église.
    Ici, la « Fraternité des Braves » était beaucoup plus proche de l’Église, et sa direction était entre les mains des personnes influentes de la colonie, en particulier du « voyt » (chef municipal).

    Comment se fait-il que les braves arméniens, qui s’étaient considérablement éloignés de l’Église et de la religion dans leur pays d’origine, se soient de nouveau regroupés autour de l’Église en dehors de leur patrie ?
    Nous pensons que ce changement significatif dans les organisations arméniennes des « Fraternités des Braves » est lié aux conditions locales. Lorsqu’à la suite de l’exode, ces organisations ont été emportées dans des contrées lointaines avec de nombreuses autres traditions nationales, leur nature s’est modifiée dans une certaine mesure sous l’influence de ces conditions locales.

    …« Le règlement régissait également la manière d’organiser les mariages.
    Une aide était fournie aux braves se mariant à partir du trésor. En contrepartie, ils devaient verser une contribution, dont le montant dépendait de leurs ressources financières. Si le marié était pauvre, les dépenses du mariage étaient couvertes par le trésor ou par les braves eux-mêmes, mais cela ne pouvait se produire que si ce brave « avait suffisamment mérité » (№ 26).
    Les braves pouvaient exempter leurs compagnons démunis de l’obligation de payer la contribution pour le mariage (№ 7).
    Un article spécial stipulait que les mariés devaient offrir des cadeaux aux braves aînés (№ 8), et le « voyt » avait le droit d’organiser un banquet aux frais des braves pour les dirigeants de la colonie, les « aghas » (№ 31).

    …« Lorsque l’ordre était donné de partir en chevauchée hors de la ville avec le « voyt », les braves devaient immédiatement obéir à la directive avec leurs chevaux et, bien sûr, être armés, conformément aux instructions des aînés.

    …« Les règlements des fraternités de jeunes, ainsi que des adultes dans les colonies arméniennes de Moldavie, ont été rédigés par l’éminent savant arménien-polonais Stepannos Roshka, qui avait en sa possession les règlements des organisations similaires des Arméniens polonais et s’en est inspiré.
    Par conséquent, des informations sur les règlements des colonies arméniennes de Pologne peuvent également être obtenues à partir de ces règlements.
    Cependant, il faut noter que S. Roshka, formé au Vatican et ayant occupé des postes ecclésiastiques élevés en Podolie, a mis l’accent sur l’éducation spirituelle des jeunes dans les règlements qu’il a rédigés, la plupart de ses règles portant sur des questions religieuses. »

    « Le règlement des jeunes arméniens de Moldavie, comme nous le lisons dans la préface jointe par l’éditeur, rappelle les règles des anciens Spartiates, dont les jeunes, à un âge déterminé, appartenaient à la société et étaient élevés dans des institutions publiques, totalement libres de l’autorité et de l’influence parentales.
    On observe en partie la même chose dans les règles des jeunes arméniens de Moldavie, selon lesquelles, une fois entré dans l’assemblée, le jeune Arménien de Moldavie était entièrement soumis aux décisions de l’assemblée, contre lesquelles ni les parents ni les proches n’avaient le droit de le protéger.

    La différence réside dans le fait que le Spartiate recevait une éducation militaire pour devenir un vaillant soldat de la patrie, tandis que le jeune Arménien de Moldavie recevait une éducation religieuse et sociale, afin de devenir un futur membre de la société et un bon chrétien.
    Cette différence semble moins marquée lorsque l’on examine les règles des braves de Yazlovets.
    Ici, nous avons affaire à une organisation semi-militarisée, dont les objectifs étaient aussi importants que d’assurer l’éducation religieuse et sociale de la jeunesse, ainsi que de les habituer à l’ordre et à la discipline, à obéir sans réserve aux commandements des aînés, et, si nécessaire, à prendre les armes contre l’ennemi. »

    Les Arméniens de Yazlovets sont connus pour avoir participé activement à la défense de leur ville. Ils ont non seulement pris part aux combats, mais ont aussi investi leurs propres ressources pour construire des fortifications, dont certaines subsistent encore de nos jours.
    Au XVIIe siècle, la défense de la ville était sous la responsabilité du « voyt » arménien, et le voyt Bogdan Sheferovitch s’est distingué par ses nombreuses victoires contre les envahisseurs turco-tatares, ce qui lui a valu le titre de « Chevalier de Pologne ».

    Le roi de Pologne Jean Sobieski, dans son décret du 6 juin 1685 accordant une série de privilèges aux artisans arméniens, a particulièrement souligné les exploits des Arméniens également lors de la défense de Yazlovets. Les forces combattantes étaient principalement constituées de jeunes, et il ne fait aucun doute que la « Fraternité des Courageux » a joué un rôle crucial dans l’éducation de leur esprit martial.

    «Le règlement des « Katritch » de Yazlovets est rédigé dans la langue quotidienne des Arméniens locaux et constitue également une source précieuse pour les recherches linguistiques.»

  • Il y a des Haykazounis arménophones et adorateurs du soleil que l’on appelle Arévordi… (« La question des Arévordis ») — Partie B

    Il y a des Haykazounis arménophones et adorateurs du soleil que l’on appelle Arévordi… (« La question des Arévordis ») — Partie B

    Poursuivons avec la question des « Arévordi » évoquée dans la publication précédente, en examinant l’enseignement véritable des Arévordi selon les interprétations des prêtres de la Fraternité Haykienne, gardiens de l’ancienne culture solaire des Haykides.

    Dans son étude « La vieille foi ou la religion païenne des Arméniens », Ghevond Alishan nous informe : « Ce qui est plus simple et plus étonnant, c’est que le culte du soleil s’est implanté plus profondément que toute autre croyance parmi nos compatriotes. À diverses époques, des Arévordi sont apparus, peut-être existent-ils encore aujourd’hui, même s’il est difficile de déterminer leur appartenance ethnique. Au milieu du XIe siècle, Grigor Magistros fait référence à eux sous ce nom, les reliant aux mages zoroastriens : « Certains d’entre eux sont devenus adorateurs du soleil, qu’on appelle Arévordi, et ils sont nombreux dans cette région (Mésopotamie), les chrétiens les nomment ouvertement ainsi. » »

    « …Dans les écrits d’auteurs plus proches de nous, on trouve également des références aux Arévordi. Encore aujourd’hui, dans les régions de Mésopotamie, il existe des sectaires appelés « chemsi » (signifiant « solaires »), pratiquant une religion mélangeant paganisme, christianisme et islam. L’origine de leur peuple reste inconnue, et ils parlent la langue des locaux. En Arménie proprement dite, dans les régions autour de Kaghzvan, on entend encore les noms des montagnes entre l’Araxe et l’Aratsani, appelées « Arévordi » ou « Ardzvordi », où, même de nos jours, on trouve des Yézidis et des adorateurs du soleil, au moins des Arévordi mentionnés par des géographes tels que Texier (Texier, Asie Mineure, I, 105, 123). »

    Au début du XVIIe siècle, au cours de son voyage à travers Mardin, Siméon de Pologne atteste que les « chemsis » de Mardin avaient leur propre lieu de rassemblement (« lieu de prière »), parlaient arménien, et sous la menace de conversion forcée, se sont dispersés : certains se sont dirigés vers la Perse, d’autres vers l’Assyrie, Tokat et Merzifon (Voyage de Siméon de Pologne, page 208, Vienne, 1936).

    Dans ses récits d’expédition de 1895, l’archéologue et anthropologue français Ernest Chantre (1843-1924) décrit les particularités de la religion des Yézidis, les influences reçues des croyances d’autres peuples, ainsi que leur rituel d’adoration du soleil le matin, concluant que des éléments zoroastriens se sont inconsciemment maintenus chez eux (page 94). Certains extraits (traduit par moi) confirment les écrits des auteurs médiévaux : « Certains les considèrent comme musulmans, d’autres comme nestoriens ou zoroastriens… Ils vénèrent le soleil en tant qu’image de la justice divine et principe vital pour l’humanité… » « Comme les anciens Arévordi, ils vénèrent le chêne, mais avec une contradiction notable, ils croient ainsi honorer l’arbre dont le bois a servi à fabriquer la croix de Jésus… » « Lorsqu’on demande à un Yézidi quelle est sa religion, il répond qu’il est « isavi », c’est-à-dire qu’il appartient à Jésus, en somme qu’il est chrétien. Et comme ils sont souvent impliqués dans le vol, ils justifient cet acte en affirmant que Jésus leur a permis de voler en souvenir du brigand crucifié à sa droite. »

    En évoquant les Arévordi mentionnés par Nersès Chnorhali, qui avaient refusé d’adopter le christianisme et avaient préservé leur foi, Chantre exprime son hésitation face à l’hypothèse d’Eliazarov selon laquelle les Yézidis pourraient être les héritiers de cette secte.

    Chantre rappelle l’étymologie du mot « Yézidi » proposée par Portukalian, selon laquelle il dériverait de la ville de Yazd en Perse, où le zoroastrisme subsiste encore.

    « Les Arévordi, qui ont perduré jusqu’à nos jours grâce aux descendants des Haykazuni, sont des Arméniens initiés au rite solaire appelée « Arevknunk », porteurs de la doctrine des Haykides », selon l’explication donnée par le prêtre Mihr Haykazuni.

    La confusion et l’incertitude des auteurs cités plus haut s’expliquent par le fait qu’après l’avènement du christianisme, les peuples pratiquant des croyances anciennes, avec des éléments de culte de la nature, étaient généralement associés au « culte du soleil ». Les témoignages sur la population mésopotamienne au fil des siècles offrent des éclaircissements sur l’identité des « Arévordi » mentionnés dans les manuscrits médiévaux.

    Décrivant la ville fortifiée de Mardin, située sur une haute montagne rocheuse, et ses environs riches en fruits variés, Ghukas Inchichian évoque également ses habitants : « La population de la ville est d’environ 1000 habitants : des Turcs, des Kurdes, des Arabes, des Arméniens, des Assyriens ou Jacobites, des Chaldéens, ainsi que des Chemsis, que l’on nomme en arabe « Arouyayin », signifiant les Solaires, que nos ancêtres appelaient Arévordi » (Gh. Inchichian, Géographie des quatre parties du monde : Asie, Europe, Afrique et Amérique, composée par le Révérend Père Ghukas Inchichian de Constantinople. Publiée au monastère de Saint-Lazare à Venise, en 1806, Partie I, Asie, volume I, page 353). « Les Solaires, que nos ancêtres appelaient Arévordi »…

    « Le culte du soleil est la culture de la puissance de la Lumière de la Vie, une quête de Sagesse et de perfection personnelle. Les Arévordi sont les porteurs de cette culture et les propagateurs de cette Lumière, des semeurs de Science, de Sagesse et de Bien. L’Arévordi, dans la perspective des Haykazuni, est un descendant arménien éduqué selon la vision du monde des Haykazuni, et l’héritier des savoirs cultivés par ses ancêtres. Les peuples suivant un calendrier lunaire, naturellement, ne pouvaient être considérés comme des « Arévordi » », explique le prêtre Mihr Haykazuni.

    Les prêtres de la Fraternité Haykienne apportent aujourd’hui des connaissances précises sur les traditions ancestrales des Arévordi, le culte du soleil et l’enseignement haykien, dissipant ainsi de nombreuses incertitudes qui ont perduré à travers les siècles.

    Voici un extrait d’un entretien avec le prêtre Mihr Haykazuni, comprenant quelques explications succinctes.